Dancehall et Violence, les faits récents
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Dancehall et Violence, les faits récents

Le mois de février était celui du reggae en Jamaïque mais il a également été celui d’une polémique qui ne cesse d’enfler depuis. Il faut dire que si le sujet des liens entre violence et reggae/dancehall est récurrent depuis trente ans, il a pris une dimension particulière ces dernières semaines. De nombreuses voix se sont en effet élevées en JA pour critiquer l’influence néfaste du dancehall et de ses représentants artistiques. Le point de vue défendu est qu’à force de prêcher et de promouvoir la vie de gangster, des artistes comme Mavado, Baby Cham et Bounty Killer ont une mauvaise influence sur la jeunesse de ce pays. Le journaliste du Gleaner Ian Bone, par exemple, lorsqu’il se demande comment on a pu passer de Bob Marley à Mavado pointe les dérives d’un style musical qui, dit-il, s’il n’est pas responsable directement de la violence du « downtown » de Kingston, devrait enseigner autre chose que le règlement de problèmes de manière violente et encourager la réconciliation du peuple plutôt que la confrontation de ses différentes franges. On aimerait conseiller à Ian Bone de proposer ses lyrics dancehall à Mavado et Busy Signal. Ils seraient certainement intéressés. Son argumentaire peut paraître en effet simpliste et aurait pu passer inaperçu si une grande partie de la population, qui en a assez de la violence à l’œuvre dans ses rues, n’avait pas partagé cette idée. Et lorsqu’un nouveau crime est connu, qu’un jeune du ghetto tombe sous les balles où qu’il commet un meurtre, aussitôt la presse rappelle qu’il écoutait Elephant Man, Munga ou Vybz Kartel. Le raccourci est facile mais il faut bien avouer que ces derniers temps les artistes dancehall ont participé à une surenchère dans la violence à la fois vocale et physique. Les exemples sont légions comme la petite guéguerre entre Munga (inventeur auto-déclaré du Ras Gansta, concept paradoxal qui réunit deux mentalités impossibles à concilier) et Deva Bratt (aujourd’hui accusé de viol et de pédophilie dans une autre affaire) qui se règle sur scène avec quelques échanges de baffes et durent depuis des mois au travers d’insultes chantées interposées. Si les deux artistes cités sont clairement mineurs d’un point de vue artistique, ils illustrent malheureusement une tendance lourde du dancehall à mettre en scène une certaine violence. Pour preuve, les représailles que l’entourage de Mavado engage sur un journaliste qui s’est permis d’en dire trop sur l’artiste en passant par les sbires de Sizzla qui passent à tabac Norris Man sur une scène jamaïcaine, ou Bounty Killer qui manque d’éborgner Harry Toddler en boîte de nuit. Et que dire des arrestations et condamnations pour port d’armes, voire leur utilisation qui touchent ou ont touché Sizzla, Buju Banton, Mavado et consorts ? Que c’est une mauvais exemple qu’ils donnent à la jeunesse pauvre des ghettos jamaïcains qui pensent pouvoir s’en sortir en reproduisant les actions de leurs idoles ? Certainement, mais peuvent-ils faire autrement alors qu’eux-mêmes vivent cette violence au jour le jour, souvent financés par un mécène qui n’est autre que le « don » de leur quartier ? Leur statut d’artiste leur offre un rôle de modèle mais sont-ils véritablement préparés et capables de le tenir ? La société jamaïcaine ne leur en demande-t-elle pas trop ? Il faut d’ailleurs discerner deux types de violences. Celle qui vient proprement de la réalité que vivent les artistes qui sont nés dans le ghetto et qui traduisent leur vécu en chant. Depuis toujours les jamaïcains la chantent et dénoncent toutes les injustices qui vont avec. Et puis celle qui est idéalisée dans une mise en scène valorisante, trop bling bling, trop éculée, trop gangsta rap. Dans son dernier numéro, Natty Dread rappelle qu’Anthony B., qui on pensait s’était assagi, chante sur son dernier album les louanges de son quartier, Rema, où l’ordre règne grâce aux chefs de gang à qui il dédie d’ailleurs « Respect to the Don ». Faut-il y voir une ode à l’encadrement du peuple par les mafieux du ghetto ? Ca serait encore une fois trop simpliste. Il se trouve en effet que les pouvoirs publics ayant totalement délaissé ses quartiers, ce sont les « parrains » qui en récupèrent la gestion. Et on repense à Bumpy Johnson, le parrain du Harlem des années 20 qui avait le sang de dizaines de personnes sur la conscience mais qui en même temps faisait vivre beaucoup de gens de son quartier grâce à son argent sale. La réalité en Jamaïque n’est ni noire ni blanche, elle est gris sombre. La société civile ne veut pourtant plus s’en satisfaire et c’est cela qui explique cette critique forte qui est faite au dancehall. Le premier ministre jamaïcain a vanté dernièrement les justes causes que le reggae a défendues contre les inégalités, les injustices, la souffrance du peuple. Il critique aujourd’hui durement les dérapages du dancehall. Des journalistes parlent de la « dancehallisation » de la société jamaïcaine. Mais il faut faire attention à discerner les critiques fondées des discours réactionnaires. Lady Saw par exemple peut être perçue comme une passionaria vulgaire mais également comme émancipatrice de la condition infantilisante de beaucoup de femmes jamaïcaines. Les jugements ne peuvent pas être trop tranchés si on veut toucher une certaine réalité. Mais les élites jamaïcaines veulent réagir et vite. Le dancehall est devenu l’ennemi public numéro 1 et la cause de tous les maux de la Jamaïque. On s’en désolidarise rapidement alors qu’on l’a promu pendant si longtemps. Red Stripe abandonne ainsi le SumFest pour ne pas mélanger son image à ces artistes que d’autres pays jugent indésirables (Mavado est ainsi interdit de concert dans les îles voisines car ces paroles sont jugées outranciers, Bounty Killer a vu la moitié de sa tournée britannique et allemande annulée). Le Canada menace même de boycotter les produits jamaïcains si rien n’est fait pour lutter contre les violences qui sont chantées et actées contre les homosexuels… Le dancehall pourra-t-il survivre à ces attaques ? Evidemment oui, car le talent des artistes incriminés est indéniable. Ils devront juste faire évoluer un peu leurs discours qui tout en restant révoltés contre le système et forcément crus car décrivant une réalité plus que difficile, seront moins tournés vers la haine de l’autre (Bounty Killer lors de sa tournée européenne a continué de plus belles ses diatribes anti batty boy, propos antigay mais également insulte anti babylone en argot jamaïcain) et plus contre un système qui oppresse véritablement la jeunesse pauvre jamaïcaine. Car le reggae et le dancehall restent avant tout la voix du ghetto jamaïcain dans ses meilleurs comme ses plus mauvais côtés…

Par West Indian
Commentaires (2)
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Par mata hari le 14/05/2008 à 23:59
QUOTE "Ils devront juste faire évoluer un peu leurs discours qui tout en restant révoltés contre le système..." et bien et bien... attention ici on sort du registre journalistique pour entrer dans les baskets d'un médiateur ou d'une diseuse de bonne aventure... :P article intéressant WI, et qui me fais demander quelle ampleur prends cette affaire dans la société Ja. J'espère qu'il y aura une suite ;)
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Par semayat le 11/01/2010 à 10:38
Bob marley n'est-il pas l'artiste qui a écrit "i shot the sheriff" ou encore qui a subit un attentat. Peter Tosh, I-Roy, Hugh Mundell se sont fait assassiner froidement bien avant que l'on pointe le dancehall comme le responsable... La violence a juste évoluée et est malheureusement commune de nos jours...il suffit de regarder la tv

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