Le Reggae de jour et de nuit
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Le Reggae de jour et de nuit

Je me suis fait cette réflexion l’autre matin en prenant l’avion, les yeux rougis par une nuit blanche passée en sound-system à applaudir de jeunes talents, et d’autres plus confirmés, de la scène dancehall / new roots française. En m’installant tranquillement dans mon siège, j’ai aperçu le visage d’une des personnes chargées de la sécurité de l’avion vêtue de son gilet jaune fluo, celles qui autorisent la fermeture définitive de l’avion juste avant le décollage. Il s’agissait tout simplement d’un des artistes qui avait récolté le plus de « forward » dans la soirée à laquelle j’assistais en banlieue parisienne. Nous nous étions rapidement croisés backstage, avions échangé deux mots, et nous nous retrouvions tous les deux au même endroit au même moment, quatre ou cinq heures plus tard, moi partant faire un reportage dans le sud de la France, lui embauchant dans son quotidien professionnel. Je n’ai pas eu le temps de le saluer, ma rangée de sièges étant trop loin de l’entrée, mais je suis sûr que c’était bien lui et cette rencontre fortuite m’a donné l’idée de ce billet d’humeur. Le Reggae est une belle musique universelle qui n’est pas assez reconnue à sa juste valeur. En France, elle n’a pas de radio dédiée, ses magazines se comptent sur les deux doigts de la main et elle se diffuse donc essentiellement via Internet, en particulier par Reggae.fr. Le Reggae ne vend pas énormément, ce n’est pas un style musical qui a le poids économique du Hip-Hop ou des musiques électroniques. Pourtant, d’un point de vue artistique, il est aussi prolifique que ces musiques. Toutes les semaines des dizaines de singles sont produites en Jamaïque, au Royaume-Uni et en Europe. Mais le modèle économique du vinyle, et surtout l’absence de droits d’auteurs en Jamaïque font que la situation est très difficile pour de nombreux artistes qui ne peuvent joindre les deux bouts. Parfois, la situation est tellement tendue qu’un chanteur ou un deejay décide d’arrêter sa carrière pour nourrir sa famille. Il passe alors à regret à autre chose, espérant secrètement revenir sur le devant de la scène. Charlie Chaplin, qui a connu son heure de gloire dans les années 80, est aujourd’hui à la tête d’une société de sécurité qui encadre certains concerts en Jamaïque. Il se produit encore de temps en temps, mais gère principalement son entreprise. Winston Mac Anuf a pendant longtemps été garagiste avant que le succès ne revienne grâce à Makasound. Il a néanmoins conservé ses garages au cas où. Kenny Knotts, autre gloire du reggae, mais cette fois-ci UK, a dû lui aussi quitter le reggae pour devenir vigile. Ces dernières années, il a remis un pied dans la musique et a sortit plusieurs titres vraiment intéressants. Lieutenant Stitchie est devenu instituteur et King General électricien. Il n’est bien sûr pas de sot métier mais voir de tels talents artistiques se retrouver à ne pouvoir vivre de leur art fait mal au cœur. Et en France me direz-vous ? La situation est-elle différente, l’implantation du reggae étant plus récente dans l’hexagone ? En fait, la réalité n’est pas loin d’être la même, la bi-activité étant très répandue. Artistes, promoteurs, fondateurs de labels indépendants ont souvent une double vie nocturne très différente de leur quotidien diurne. Si l’on excepte les grosses têtes d’affiche, les deux ou trois tourneurs les plus importants et les gens qui travaillent sur de gros labels, la plupart des gens que je croise en soirée ou avec qui je travaille ont deux boulots. Le premier pour assurer le loyer et la nourriture, le second pour assumer leur passion musicale. Moi-même pendant longtemps j’ai bossé à droite à gauche avant de pouvoir me consacrer totalement à Reggae.fr. Quand je regarde un peu autour de moi, je vois des artistes talentueux qui sortent d’excellents albums qui ne suffisent pourtant pas à assurer les fins de mois. Certains bossent dans le bâtiment, d’autres sont vendeurs, les plus chanceux sont encore étudiants. Passionnés, ils ne lâchent pas l’affaire, malgré les embûches et les difficultés rencontrées. C’est la même chose pour la plupart des petits producteurs de séries de singles qui font le tour du monde mais restent des succès d’estime sans être des réussites commerciales. Evidemment, ceux-là ne recherchent pas autre chose que de diffuser leurs inspirations musicales, mais croyez-moi ils ne cracheraient pas sur un statut qui leur permettrait de vivre de leur musique. Les plus malins bossent pour des grandes maisons de disques histoire de garder un pied dans le métier, d’autres s’occupent des rayons reggae et musique du monde à la FNAC. C’est la même histoire pour les petits promoteurs de concerts qui se battent pour faire venir des artistes méconnus, et qui la journée sont agents de sécurité, manutentionnaires ou chauffeurs. Très peu sont ceux qui arrivent à vivre de ces soirées où les bénéfices sont rares. Le Reggae n’est pas une musique dans laquelle on fait fortune, c’est une passion qui prend les tripes et qu’on ne lâche plus. Alors ce matin-là dans l’avion, en voyant cet artiste talentueux bosser comme si de rien n’était, comme si plus de cinq cents personnes ne l’avaient pas acclamé quelques heures auparavant, je me suis dit que j’avais envie de rendre hommage à tous ces gens qui font que le reggae vit en France, tous les bénévoles et les bonnes volontés qui font de leur mieux pour qu’il y ait des lieux où des artistes se produisent, des productions locales pour faire bouger sur les dancefloors et des médias indépendants pour relayer ces bonnes vibrations. Alors Big Up, à tous !
Par West Indian
Commentaires (5)
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Par Sanders le 20/06/2008 à 20:18
Assez belle reflexion en effet ! il est vrai qu'on a tous une double vie, pas seulement les artistes mais aussi la plupart des divers acteurs et soldats qui font avancer le mouvement. joli petit article en tout cas, et plaisant à lire.
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Par Vickys le 20/06/2008 à 22:11
Très bon article en effet... La situation dont tu parles est malheureusement répandue dans tout le milieu culturel malheureusement... Je sais de quoi je parle j'ai fait des études là dedans et je vois la situation se déteriorer chaque jour. Je connais bien la situation étant moi même musicienne et auteur à mes heures perdues et ayant un boulot "alimentaire" chez un disquaire. Et à côté, du bénévolat, de l'aide pour des petites structures, de la composition... Merci pour tout ceux qui se lèvent le c** tous les jours pour vivre de ce qu'ils aiment !
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Par luludépessicart le 23/06/2008 à 13:30
d accord avec tout ca mais je rajourerai qu en france le reggae est devalorisè et est difficelement reconnu comme passion musicale sans etre pris pour un tox feignant
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Par kouems le 01/07/2008 à 10:20
Big up pour cet article !! et pour tous ceux qui lachent pas l'affaire et qui font vivre le reggae muzic !! Gardez la force !!
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Par blesseb le 21/09/2008 à 12:05
Les problèmes sont bien énumérées mais où sont les ébauches de solutions ?? Sommes nous condamnés à rester amateur ? C'est ce que je comprend dans votre conclusion. De plus comme vous le dites vous même avant vous travaillez dans des petits boulots. Ca veut dire que vous arrivez aujourd'hui a vivre de votre passion non ? Où sont les solutions ?? parce que les problemes on les connait. Moi perso je pense qu'en se professionnalisant c'est le seul moyen de pouvoir vivre de sa passion. Si le reggae n'est pas pris au serieux ca viens de nous !! A REFLEHIR

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