ASPO se souvient d'Alton
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ASPO se souvient d'Alton

Michel Roux, membre d'ASPO se souvient d'Alton Ellis dans un bel hommage que nous vous proposons. "Lorsqu'Alton Ellis et sa compagne Judith arrivèrent à Bordeaux le lundi 4 mars 2002, après avoir raté leur avion la veille, nous avions encore du mal à y croire. Et cinq jours plus tard, lorsque nous sommes montés sur scène avec Alton nous étions encore dans nos petits souliers.… On aurait été impressionné a moins… Comment aurions-nous pu imaginer, lorsque nous fondâmes l’ASPO qu’un jour nous serions amenés à accompagner l'un des inventeurs de la musique que nous aimions ? À vrai dire les musiciens d'ASPO avaient imaginé le pire : n’allions-nous pas subir les caprices d’un vétéran irascible aux capacités vocales chancelantes ? N’allait-il pas s'agacer des mauvais traitements que nous faisions sans doute subir a sa musique ? Nous avions été prévenus : partager la scène avec un artiste jamaïcain n'est pas toujours une partie de plaisir et la paranoïa suscitées par une histoire faite d’arnaques et d’usurpations diverses peu dégrader l'atmosphère d'une tournée. En fait ASPO eut la chance de croiser la route d’un grand chanteur doublé d’un homme charmant et malicieux qui sut avec beaucoup de doigté nous prendre en mains. Alton répéta quotidiennement avec ASPO le répertoire de ce qui deviendra son seul album live ("Alton ELLIS Live With ASPO : Workin’ On A Groovy Thing" - CD 13 titres. Patate Records- Belleville International - PRP 019 - Mars 2004). À trois exceptions près (« Dance Crasher » 1965, « You've Made Me So Verry Happy » 1970, et « Reggae With You » 1977) les titres interprétés sur cet album furent créés entre le printemps 1966 et l’été 1968, durant la brève période d’apogée du Rocksteady. Né en 1938, Alton écume alors depuis dix ans déjà les scènes yardies, il est au sommet de son art. Trente cinq ans plus tard son premier enregistrement live prouve s’il en etait besoin, qu’a 64 ans, sa voix n’avait pas perdu la douceur ni la passion qui firent de lui un immense chanteur dans les 60’s. Il est le crooner rocksteady, le pendant insulaire d’un Marvin Gaye. Grâce à lui nous avons eu le privilège de transformer pour un soir le théâtre Barbey de Bordeaux en une petite Motown jamaïquaine… Pas la Motown des roucoulades, plutôt celle de Marvin. Grâce en soit rendue à "Mr Soul Of Jamaïca". Durant les semaines passées à assimiler son répertoire avant qu’il n’arrive, nous avions écarté des titres qui nous paraissaient redondants… Nous lui proposions à la place des titres plus toniques (comme « Oo Wee Baby, Baby I Love You ») ou plus rares (comme « Joy In The Morning » de BB Seaton qu’il avait interprété autrefois en compagnie des Gaylads). Mais lorsque le lundi 4 mars 02 nous proposâmes a Alton de jouer par exemple « Whipping The Prince » (a.k.a « Alton’s Groove » sur le Riddim « Death In The Arena »), il éclata de rire," …Ah Ah… You could play that without me at the beginning of the set…"; Finalement nous abandonnâmes ce titre dont nous aimions le groove « a la Stax » comme nous en abandonnâmes d’autres…Avec diplomatie, patience et malice et sous l’œil vigilant de Judith, Alton nous recentra sur un répertoire « Lover » que nous eûmes cinq jours pour mettre au point. Dés son arrivée, il proposa de nous apprendre « Reggae With You »… « un titre tres facile » disait-il… Le lendemain matin il expliqua que « My Willow Tree » lui tenait a cœur et qu’il serait dommage de ne pas jouer « I’m Still In Love With You ». Le mercredi après midi il répondit à Perrine qui souhaitait chanter un duo avec lui (nous avions pensé a « Breaking Up Is Hard To Do »), qu’il avait mieux : le « La La (Means I Love You) » des Delfonics ; et il lui en dicta les paroles. Le jeudi enfin, avec un clin d’œil en direction des souffleurs d’ASPO, il indiqua qu’il aimerait beaucoup tenter avec eux un bon vieux « You’ve Made Me So Very Happy ». Formé de ses compositions et de reprises populaires entre 1961 et 1969 (« foreign tunes » dirait-on en Jamaïque) qu’il modifia parfois radicalement pour les faire siennes, ce répertoire n’est peut-être pas d’une grande originalité… Mais Alton nous convainquit qu’il n’était pas besoin de larder un set de titres ronflants pour le dynamiser ; l’énergie pouvait tout aussi bien jaillir de l’interprétation « Soul » de titres « Love ». Ce fut là sa première leçon…. Vendredi 8 mars 02, J-1, ultime répétition… Sans Alton ! Je file à son hôtel et le trouve au lit…souhaitant se ménager la veille d’un concert (en répétition, il se donne à fond et chante comme si la salle était comble et enthousiaste)…Nous voilà donc seuls avec « You’ve Made Me So Very Happy »… Pas si « Happy » ! Il ne nous reste que la balance du samedi…mais le sort est contre nous… il y a foot à la télé : secoué par l '« affaire Fernandez » et espérant se qualifier pour les demi finales de la coupe de France, le PSG, se fait sortir (1-0) par les Merlus de Lorient, avant-derniers du championnat de France, sous le regard amusé d’Alton qui attend la fin du match pour nous rejoindre… Sur la scène du théâtre Barbey, nous rongeons notre frein…Nous avons tort…nous sommes prêts, mais nous ne le savons pas…Alton si…« Ne me perdez jamais de vue, et alors tout se passera bien ; vous pourrez jouer tranquille »…il avait raison, mais jusqu’au dernier moment nous eûmes du mal à le croire. ASPO étant un groupe passablement casanier, la seconde rencontre avec Alton et Judith eu lieu à proximité de Bordeaux au printemps 2006 (Festival Léoska), j'avais trouvé Alton fatigué, irritable. La veille du festival, en sortant de répétition, je l'avais entendu confier à Judith que l'énergie toujours croissante qu'il devait dépenser a 68 ans pour arriver au même niveau de performance scénique qu'auparavant le rendait soucieux; si bien que le jour du concert, j'avais appelé un médecin. Alton avait tres bien chanté, mais nous l'avions trouvé tendu tout au long du concert. Le 20 Octobre 2007, le Festival de Marne 2007 fut notre dernière apparition commune. Il aurait dû préluder à une petite tournée française au printemps 2008. Alton Ellis, se sachant probablement malade, comptait en outre fêter son 70e anniversaire avec une certaine solennité et se proposait d'inviter à cette occasion ASPO à Londres (Alton, souhaitait aussi y convier - entre autres amis - Percy Sledge… Rien de moins……). En sortant de scène ce soir-là, Alton - comme souvent - etait agacé qu'on ne lui ai pas donné un peu plus de temps pour s'exprimer…. Il ignorait encore que le sale crabe qui allait l'emporter 12 mois plus tard allait lui en laisser encore moins". Michel ROUX - "About Some Precious Oldies"
Par Michel ROUX (ASPO)
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