Interview Clinton Fearon
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Interview Clinton Fearon

Il y a exactement un an, nous rencontrions Clinton Fearon dans le cadre du Reggae Bash 2004. Il partageait l’affiche avec l’américain Mateo Monk et le trio légendaire The Viceroys. Il s’était livré à une interview poussée. Alors que sort son album acoustique ("A Man & his Guitar" ; Sankofa) revenons sur « Give & Take » un album qui a fait l'unanimité. Rencontre à Rouen, le 15 septembre 2004… C'est le 1er concert de cette tournée française, de nombreuses tournées commencent par Rouen, sais-tu pourquoi ? Well…je n'en ai aucune idée ! Il faut bien commencer par quelque part (rires) ! Mais je me souviens que l'an dernier, quand nous étions en tournée avec Apple Gabriel et Winston Jarret, Rouen avait été notre première date française. Ton dernier album "Give & Take" s'est fait remarquer, sais-tu si l'on peut déjà parler d'un succès en terme de ventes ? Je ne sais pas vraiment. C'est Sankofa Blackstar qui gère ça. Tout ce que je sais c'est que nous avons écoulé les premiers pressages donc c'est bien. Mais Ernest (Sankofa) et moi n'avons pas encore eu cette 'discussion-bizness' pour le moment. En tous cas, je n'ai que de bonnes chroniques de cet album, de bons retours des personnes qui l'ont entendu aussi bien en radio que dans la presse. Cela me rend encore plus satisfait de cet album. Tu es donc en tournée avec The Viceroys, ce sont des amis ? Je les connais depuis si longtemps ! On se voyait chez Studio One alors que j'étais session-man pour Coxsone. J'y suis resté un bon moment d'ailleurs. Nous nous sommes aussi croisés chez Scratch (Lee Perry, ndlr), chez qui je faisais aussi des sessions. On s'est vus chez Yabby You, King Sound en Angleterre. Tu es un boulimique de la composition, travailles-tu déjà sur un prochain album ? Yeah Man, you know dat'!"(rires) Depuis la sortie de cet album (juin 2004, ndlr), j'en ai écrit trois entiers. J'ai vraiment hâte de rentrer à nouveau en studio. Je ne sais vraiment pas quand ce sera mais je suis prêt. La formation du Boogie Brown Band est-elle celle de départ ? Non. Il ne reste que deux membres du groupe de 1993 : Barbara Kennedy aux claviers et moi. La formation a changé plusieurs fois mais je suis très content du crew actuel. Chacun prend plaisir, apprécie vraiment la musique et s'investit, que veux-tu de plus ! Et cet ouragan en Jamaïque hier ? Bwoy ! It was a ruff one ! Je n'ai encore rien vu mai je sais que les Viceroys se sont retrouvés hier au cœur du truc et ont failli ne pas venir. Heureusement ma famille va bien mais le toit de la maison de ma mère a été emporté. J'ai l'intention d'y aller avant la fin de l'année. Je ne sais pas vraiment quand je vais pouvoir mais j'ai besoin de les voir. Dans ta chanson Blood 4 Blood qui se cache derrière Mr Sweet Mouth ? Ce sont les politiciens en général. Ils apprennent à devenir Sweet Mouth (beaux parleurs) Ils vont tous dans les mêmes écoles, ils disent tous la même chose, ils te font des promesses et au final, ils n'arrivent à rien. Pour s'excuser, ils te disent de voter pour eux car ils vont enfin te faire devenir ce que tu as envie d'être…car ils savent ce que tu veux (rires). Tout l'album "Give & Take" parle de ce qui se passe en ce moment. Ca fait longtemps que ça dure. Les gens sont de plus en plus divisés au lieu d'être ensemble…bon, Ok (il se reprend, plus sérieux) Il y a 50 ans, une discussion comme celle-ci, entre toi et moi dans une même pièce n'aurait pas été possible à cause du racisme et toutes sortes de ism. Aujourd'hui cela nous est possible. Mais nous devons faire face à de nouveaux problèmes qui continuent de diviser les gens. La télé, Hollywood et Internet etc…Je suis sûr que tu décroches ton téléphone : "Max, tu viens manger un morceau ? Ouais, à toute à l'heure." Tu te couches et le lendemain ça recommence: tu vois ton ami mais avant tu l'as appelé et tu l'as eu sur Internet. Tu ne lui as jamais parlé avant en personne. Nous sommes divisés. Ca rend le basculement dans la guerre plus facile. Tu n'as même plus à toucher la personne. Tu n'as pas vu les yeux de ta victime et sa souffrance avant de la tuer. Ils peuvent être à des milliers de miles d'ici, ils tuent à distance. Ils restent chez eux, tu n'entends rien et tu sais qu'ils sont morts. Ce qui est arrivé aux Twin Towers, ce qui se passe en Israël, en Irak, en Afghanistan. Tout était inutile, c'est encore l'œuvre de Mr Sweet Mouth. Tout ça parce que deux leaders se partagent le rêve de gouverner le monde. Chacun se cherche des personnes qui lutteront à leur place. Il suffit que l'un se ramène avec 50 000 personnes qui hurlent "tuez-les !" ou "foutez une bombe ici !", la guerre commence et l'autre riposte. Ils se montrent leurs armes "T'as vu ça ? Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?" Ils testent des trucs. C'est comme deux lycéens qui s'amusent avec la vie des gens et n'ont aucune idée de la valeur de la vie, ça me désole. Si toi et moi avons une dispute nous allons nous expliquer. On s'assoit et on se réconcilie autour d'une bière, d'un spliff… ou alors nous décidons d'être ennemis pour la vie. Mais on ne peut pas mêler les pays à ça ! Tu y mêles tes proches, ta famille, tes amis, tes voisins etc.. mais pas les pays. Je ne parle pas que de l'Irak ou des Etats-Unis, cela s'applique partout. Cela va jusqu'à l'Afrique, la Jamaïque…le monde est un immense bordel ! C'est pourquoi tu chantes "Have a little faith…" Nous avons les capacités de renverser les choses, pourquoi ne le faisons-nous pas ? Je pense que nous croyons trop en nos leaders. Nous leur donnons trop de crédits, trop de pouvoir. Mais sans nous ils ne sont rien. C'est comme ceux qui ont une société dans laquelle ils emploient une centaine de personnes. Ils n'ont pas besoin d'être sur place, ils paient les employés…Ils deviennent de plus en plus gourmands et un jour ce type se rend compte que ces employés se sont tirés ! (rires) et la société est morte sans ses travailleurs. Chacun mérite le respect. Tu ne peux pas lancer un bus sur la route et avoir 2 personnes qui conduisent en même temps. Quelqu'un doit conduire le bus mais, si nous désignons Max pour conduire le bus, Max devra respecter les voyageurs. Et je pense que c'est ce qui se passe avec l'argent, le pouvoir et tout ça. (…) L'album 'Give & take" parle de ça et traite le sujet du côté positif. Car tu as le positif et le négatif. Nous pouvons le surmonter mais je pense que cela commence par soi, individuellement. Avant tout il faut être en harmonie avec soi-même. Aimes-toi pour que je puisse t'aimer. Si je ne peux pas m'aimer moi-même je ne pourrai pas t'aimer. Ce serait un leurre. Si je me sens en harmonie avec moi-même alors je pourrai apporter cette harmonie et aimer en retour. Et si nous pouvions faire ça partout… Comment tu places ta propre société Boogie Brown Production face aux majors ? Je ne suis qu'une tout petite graine de moutarde (rires), qui essaie de faire de son mieux. J''essaie de garder cela sain, j'aimerai produire davantage mais je n'ai pas le capital pour le faire. Je me sens bien car c'est mon propre truc. Les choses avancent…petit à petit, pas à pas (rires) Parlons d'Albert… tu sais qu'il commence sa dernière tournée cette année ? Il aurait pris la décision d'arrêter la musique… Non je ne savais pas ça. Je ne pense pas qu'Albert puisse arrêter la musique (rires) Albert aime trop la musique pour arrêter. Sauf s'il n'y arrive plus pour une raison ou une autre (…) Mais je suis quasiment sûr qu'il continuera à produire d'une façon ou d'une autre. Il a fait de la musique toute sa vie, il ne va pas arrêter. C'est comme si Burning Spear annonçait que c'est sa dernière tournée, c'est la même chose ! (rires) on le reverrait l'année suivante. C'est une maladie ! Tu ne peux rien y faire. (rires) Il a quand même dit qu'il se retirait parce qu'il avait l'impression d'avoir tout dit… Tu sais, je n'ai pas grand chose à dire à ce sujet. Si c'est vraiment ce qu'il pense, alors c'est sa décision. Et si c'est sa décision alors il faut qu'il le fasse. S'il le pense vraiment. Mais je ne crois pas qu'il va se retirer comme ça…(rires) L'as-tu vu récemment ? Non je ne l'ai pas vu. Je lui ai parlé rapidement il y a quatre, trois mois. Au téléphone. La dernière fois que j'ai vu Albert c'était en Sierra Nevada il y a trois ans. Et à un festival de musique en Californie. Parlons de la musique actuelle jamaïcaine, quelle est ta position par rapport aux explicit lyrics dans le dancehall à l'encontre des gays ? Je pense qu'un artiste est un artiste. Il y a beaucoup de choses plus dures à chanter plutôt que de toucher la vie privée des gens. Je pense que chacun pense à vivre. De quelle façon ? Ca les regarde. Ce à quoi je m'intéresse est le côté spirituel de chacun de nous plutôt que le côté 'charnel' des gens. Car la chair est corrompue. La chair fait toutes sortes de choses…elle marche dans la merde, elle saute sur un rocher et se blesse, elle te fait te battre avec ton frère…..mais le côté spirituel des gens est ce dont je me nourris et ce dont je nourris les gens aussi. Ne crois-tu pas que ce soit une évolution inquiétante de la musique jamaïcaine ? Car le dancehall est une branche du reggae… Le dancehall fait partie du reggae certes. Mais pour moi, il y a deux sortes de musique : la bonne et la mauvaise (rires). Je ne veux pas rentrer dans des attaques car certains pourraient ensuite dire que ma musique est mauvaise. Et cela dépend des goûts. Tu auras toujours quelqu’un qui n’aura pas les mêmes que toi. Et il y a énormément de monde qui aime le dancehall. En ce sens, ils font du bon boulot. Ce que j’espère c’est que les choses vont finir par s’équilibrer en terme de créativité. Je ne dis pas que j’aimerai que Bob revienne ou Peter et Bunny. Je sais que les 70’s ne reviendront pas mais j’attends un élément comme lui à nouveau. Quelqu’un qui pourrait redonner une moralité. On ne peut pas se contenter de chanter les jupes des filles et comment les séduire etc…Il y a tant de choses à chanter avant cela. Des choses plus bénéfiques pour l’esprit que tout ce théâtre et ces gimmicks, les trucs de rude boys etc…Je suis sûr cependant que cela a sa place dans la société mais je ne fais pas partie de cette mouvance. Je laisse faire. Tout ce que je dis c’est qu’il n’y a que deux musique dans ce monde : la bonne et la mauvaise. Dans ta chanson Feel the Spirit tu énonces une série de prénoms, d’où viennent-ils ? de la Bible ? Ezechiel, Jeremiah, Linda etc... Non c’est comme un voisinage. Toi tu t’appelles Max, toi Thomas (mais Thomas est un nom qui apparaît dans la Bible). Si j’avais dit Thomas tu aurais pu croire que je parlais du personnage biblique mais là c’était juste pour décrire un voisinage où tout le monde danse et s’invite à la danse : Eh Jim ! Quincy ! Come on ! Cela parle principalement d’unité mais il n'y a pas de lien direct avec la Bible.
Par Max, Thomas et Martin
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