Interview Baster
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Interview Baster

BASTER (Thierry Gauliris) - Pour commencer est-ce que tu peux nous parler du nom du groupe : BASTER, qui est le nom de l’endroit d’où tu viens : Basse-Terre-les-Bas ? Basse-Terre-les-Bas, oui, de Saint Pierre de la Réunion. Le nom du groupe découle du nom de ce quartier où je suis né, où mon cousin, Alain Joron, est né. C’est lui qui est à l’origine de ce groupe. Il faut savoir que deux ans avant la création du groupe, 1983, le quartier de Basse-Terre s’est réveillé culturellement à travers l’association Mouvman Kiltirel Basse-Terre. Elle avait pour but d’éveiller la conscience culturelle des gens avec la musique, le théâtre, l’astronomie, la découverte de l’histoire de l’île aussi, que l’on ne connaissait pas. Du moins elle n’était pas inscrite dans l’histoire, on ne l’a pas apprise à l’école. Donc voilà, l’association découle du nom du quartier, le groupe aussi. - Toi, tu as repris la part musicale du mouvement ? Voilà, ce qui restait en fait après deux ans d’association. Pendant ces deux ans, de 1981 à 1983, c’est là que l’on a créé les premiers morceaux qui ont du succès encore aujourd’hui. - Tu peux nous parler justement des premiers enregistrements K7 ? La première K7, qui date d’octobre 1983, c’était lors d’un concert en fait, avec Gilbert Pounia, leader du groupe Ziskakan. On a joué avec eux et d’autres groupes de l’époque. Gilbert a trouvé notre prestation plutôt bonne. Par la suite il nous a proposé de sortir notre première K7 sur le label Ziskakan et avec leur ingénieur son: Philipe Demanier. - Et toi personnellement tu avais commencé bien plutôt à jouer de la musique à la guitare ? Ma première guitare, je l’ai eu à 14 ans et demi. Je l’avais eu pour 120 francs. Ce qui m’intéressait en jouant à la guitare : c’était la rythmique. Dans Baster je suis guitariste rythmique et chant lead. C’est ce qui m’a toujours attiré. Quand j’écoute des gens, quelques soit le style de musique, c’est avant tout la rythmique qui m’intéresse, de voir comment ça bouge. - Le groupe Baster est vraiment devenu pro en 1995 avec votre rencontre avec Erick Assani (animateur de Radio FM puis de Radio RER à La Réunion)? Oui. De 1983 à 1992, c’était tout ce qui a découlé de l’association. La deuxième K7 est sorti en 1988, la troisième en 1990. En 1992, c’est la cassure interne du groupe qui s’est pas trop mal passée. Aujourd’hui quand je vois tous les anciens du groupe, chacun a fait sa vie… Moi j’ai pris la carrière professionnelle en 1995 avec d'autres musiciens. - Baster met surtout en avant une démarche textuelle ? Oui. Pour revenir de 1983 à 1992, on voulait parler de tout ce qui s’était passer dans l’histoire de la Réunion et qui n’était pas forcément dit. Une partie de la Réunion - on pourrait dire l’une des communautés, même si je n’aime pas ce mot car à la Réunion c’est très Melting Pot - bref, une frange de la population : les Afro-Réunionnais n’était pas représenté ni politiquement, ni culturellement. Par exemple, à cette époque, le 20 Décembre (fête célébrant l’abolition de l’esclavage) c’était juste la fête des litchis. On faisait tout pour masquer, pour mettre dans l’oubli le passé culturel des Afro-Réunionnais. En 1981 avec l’arrrivée de Mitterand, des ondes radio ont été ouvertes, le Maloya a aussi repris ses lettres de noblesse,… Mais il a fallu du temps. Juste pour résumer, de 1983 à 1992, il fallait encore dire. On avait des choses à revendiquer : la langue, l’histoire, tout ce qui fait que le Réunionnais existe. On voulait revendiquer le fait que l’on est créole. A partir de cette époque on a commencé à voir des publicités en créole. Avant ça, c’était plus difficile. Mes cousins qui sont plus vieux que moi, m’ont raconté que si l’on ne parlait pas français on nous donnait une pièce. Et si on arrivait à l’école avec cette pièce on était puni. Quand on a commencé dans les années 80, chacun mettait du sien dans la fabrication du matériel, du podium sur lequel on allait joué. Mais en même temps cette époque a été efficace. Si on n’avait pas fait nos classes pendant ces débuts difficiles, ça ne serait pas pareil aujourd’hui. Beaucoup de groupes de Maloya ne joueraient pas aujourd’hui. - Dans ton dernier album : Lèv’ (baster/PSB, 2006) tu rends d’ailleurs hommage aux doyens du Maloya. Oui aux doyens : Maxime Laope, Gramoun Lélé, ceux qui ont fait que la musique que je fais aujourd’hui existe. Ils étaient engagés dans leurs paroles, dans leur musique ou dans leur vie de tous les jours. Maxime Laope, Gramoun Lélé et Lo Rwa Kaf, c’est quand même ces gars qui nous ont permis d’être là. Et ça, rien que par le fait de chanter du Maloya, parce que c’est quand même un langage engagé. J’aimerais revenir un peu sur l’histoire : mon parrain me racontait, qu’à son époque, il fallait qu’il y ait un garde pendant que les autres jouaient du maloya. Si les gendarmes arrivaient pendant qu’ils jouaient ça se passait mal. Aujourd’hui on interdit encore des choses. Certains sacrifices d’animaux, par exemple, sont interdits sous prétexte sanitaire, alors que nos ancêtres ont toujours fait comme ça sans problème. Avec la mondialisation tout le monde est contraint d’adopter les mêmes normes. - Est-ce que tu peux nous dire justement ce qu’est exactement le Maloya pour ceux qui ne connaissent pas ? Le maloya c’est comme...un rituel… je dis ça parce que moi j’ai connu le maloya en même temps que les servis kabaré. C’est une tradition qui vient des Afro-Réunionnais, des descendants d’esclaves Africains ou Malgache. Pour honorer leurs ancêtres ils faisaient ce rituel en jouant de la musique, en faisant un hôtel avec tout ce que l’ancêtre aimait. Par exemple: une cigarette, un ti ver de rom, son ti mangé tou sa. Voilà ce qui fait que le maloya est aussi une musique rituelle, une musique culturelle. C’est un peu le Blues réunionnais, parce que le Maloya est avant tout un chant de détresse, de révolte, tu vois ? Le Maloya est aussi pour moi un chant d’espoir pour ceux qui ont connu l’esclavage et pour tous les descendants des Afro-Réunionnais. - Est-ce qu’il y a des instruments particuliers au Maloya ? Contrairement à la musique Antillaise où ils utilisent le groka dans certains morceaux, chez nous c’est le rouleur. C’est une grosse barrique, on va dire, avec une peau de vache dessus. On a aussi l’arc musical, que l’on appelle le bobre, comme dans la capoïra. C’est un bout de bois avec une corde de piano ou une ficelle tout simplement. On a aussi le kayanm. C’est un rectangle de bois fin avec des graines de conflor ou des grains de riz. Cet instrument est vraiment fait pour le Maloya. C’est ça qui donne la rythmique, c’est lui qui donne le côté mélodieux et fin du Maloya. - Pour revenir au côté musicale et à la Jamaïque, est-ce qu’à ton avis on peut comparer le maloya au calypso / mento ? Oui tout a fait. Ceux qui ont créé ces musiques viennent tous d’Afrique. Après, le son Caraïbéen, je pense que ça sonne différemment. Il est peut être un peu plus riche avec l’influence des Etats-Unis, de la Floride, de Cuba, etc. Alors que nous…l’Océan Indien est très éloigné. Notre musique est quand même différente. C’est plus un ternaire, 6-8, qui est bien spécifique à l’Océan Indien. Tu ne le trouveras même pas en Afrique. La Réunion c’est un Melting Pot culturelle différent de celui des caraïbes. - C’est à partir de 1997, avec l’album Black Out, que le reggae est devenu plus présent ? Oui, 1997, 1998. Baster a toujours été un groupe de sega, maloya, mais le reggae est devenu plus présent, oui. - Qu’est-ce que tu apprécies vraiment dans cette musique ? Moi c’est sur Marley que j’ai flashé, sur ces textes, sur sa voix et sur son style, sur son côté rebelle. - Et en dehors du reggae Roots est-ce que tu aimes aussi la musique Jamaïcaine plus ancienne : le Ska, le Rocksteady ? Oui bien sûr. Par contre, j’apprécie moins le ragga et le dancehall. Il y a toujours une image derrière - quand je vois les clips - une image de Rude Boys, avec plein de filles, etc Alors que, pour moi, le reggae c’est avant tout : Marley, Burning Spear, Toots, qui défendaient les droits de l’homme. Je suis de l’ancienne école. J’aime écouter Jimmy Cliff, The Harder They Come, The Melodians, etc Quand je compose, je m’inspire aussi de ça. J’ai besoin de ça : les vieux sons. J’aimerai vraiment, un jour, enregistré un truc à l’ancienne avec tout le monde branché en même temps dans le studio. Même si à l’époque ils n’avaient pas de 48 pistes, écoute comment ça sonne ! C’est ça qui me tue ! C’est ce que j’ai envie de retrouver. On avait fait d’ailleurs des dates avec les Skatalites, avec les Wailers, Toots and the Maytals. On a la chance que notre tourneur soit le tourneur en France de ces groupes là. - En 2002 tu as aussi fait un album entièrement reggae que tu as enregistré en Jamaïque. Oui, c’est un album ou j’ai repris plusieurs de mes titres en version reggae. Je suis allé à Kingston, au studio de Marley : Tuff Gong, pour revisiter mes titres avec Junior Samuel Clayton, l’ingé son du studio et quelques musiciens de Burning Spear, de Ziggy Marley, etc. Le reggae est vraiment une musique que j’adore, mais ma musique c’est le sega, Maloya. Le fait de m’ouvrir sur un style de musique que j’aime bien, me permet aussi de m’ouvrir sur le monde. Je "biguine" un peu si on peut dire. Mais il faut que je le sente aussi. Pour revenir sur la formation instrumentale de Baster : avant j’avais que le rouleur et les instruments que j’ai cité tout à l’heure. Après, au fur et à mesure, ça s’est étendu avec une batterie, une basse, j’ai même joué avec des cuivres. A un moment donné, tu es obligé de t’ouvrir, pour durer dans le temps. Tu es obligé, pour toi même et pour ton public, d’innover. En ce moment j’ai même envie de partir vers un orchestre philarmonique. Ca demande de l’expérience, du temps. J’ai aussi envie que Baster reste Baster : du séga, maloya mâtiné de reggae et voilà. - Qu’est-ce que tu penses de la nouvelle génération à la Réunion qui s’inspire aussi de la musique Jamaïcaine. KM David, par exemple, qui fait du ragga / dancehall ? Il y a de la place pour tout le monde. Quelque soit la génération, il faut les aider à aller plus haut. KM David est l’un des plus coté à la Réunion en ce moment. Ce que je regrette avec la plupart de ces nouveaux groupes, c’est qu’il n’y a pas vraiment de musiciens derrière. C’est souvent des bandes. Je pense que la vraie création c’est quand même de pratiquer avec un instrument. Sur scène, quand je vois des groupes avec des bandes, ça m’attire moins. Je préfère voir un gar faire de fausses notes sur un instrument, mais qui joue avec ces tripes. C’est pas pareil, mais ça a le mérite d’exister. C’est la nouvelle génération. - Est-ce que tu es sensible au mouvement Rasta qui est très souvent "attaché" au reggae ? J’y suis sensible bien sûr, même si je ne suis pas un Rastaman dans le côté religieux. Je trouve que le côté religieux domine un peu trop. Dans certaine branche rasta on te dit même que la femme n’a pas le droit de faire ça, de faire ci. Ca, ça me gêne un peu. Moi je suis vraiment pour l’émancipation de tout le monde. J’ai beaucoup de respect pour ma mère et à partir de là pour toutes les autres femmes qui sont quand même à l’origine du monde. Quand une religion commence à mettre des barrières, là je n’adhère pas. Pour ça je pense comme Marx : pour moi la religion c’est l’opium du peuple. Je crois en Dieu. Comme beaucoup de monde j’ai cette foi envers le Bien. En tous cas je respecte quand même la religion, mais quand on essaye d’amener la religion comme un combat, une guerre, là je n’adhère pas. - Tu as cité Marx à l’instant et tout à l’heure on a beaucoup parlé de l’engagement de Baster. Est-ce que cet engagement est politisé ? C’est vrai que quand tu écoutes mes paroles, ce sont des idées de gauche. Mes parents à la Réunion étaient communistes. D’ailleurs, c’est pour ça : pour mes idées, que je ne joue pas dans certaines villes qui sont passées à droites. Ils ne veulent pas de moi (rires). On a essayé pendant un moment de marquer un peu plus politiquement le groupe, mais je suis juste un humaniste social. Récemment je me suis prononcé pour Ségolène Royal. Depuis que la république existe il n’y a jamais eu de femmes. Je pense que ça aurait put être une bonne chose. A la réunion c’est plutôt une société matriarcale. C’est la maman qui gère. Ca aurait été bien qu’une femme gère le pays. La France n’est pas encore prête pour qu’une femme soit présidente. Peut être qu’elle n’était pas prête non plus… Ca viendra, je suis confiant. Je pense, comme disait Boris Vian, que : "la femme est l’avenir de l’homme". Je le pense dans le sens où l’on doit marcher main dans la main. - Est-ce que tu te considères comme un représentant de la culture Réunionnaise ? Moi je n’ai jamais pensé être le représentant. Moi, je fais juste de la musique, mais à aucun moment, je n’ai voulu avoir un titre. Je ne suis pas ambassadeur. Je le fais de part mon histoire, parce qu’il y a un truc à dire. Musicalement, il faut que les gens sachent comment ça se passe à la Réunion. Que je fasse du reggae ou du maloya, je fais de la musique. C’est vrai qu’à partir de 1995 je suis rentré dans quelques choses de plus professionnel. Pour essayer de devenir plus connu, ça demande peut-être des concessions, mais ce ne sont pas des concessions idéologiques. - Les messages ont quand même changé aussi ? Je pense qu’à un moment il fallait dire. Aujourd’hui on revendique toujours, mais en essayant de toucher plus de monde. - Pour finir, tu peux nous présenter les musiciens qui vont t’accompagner ce soir ? J’ai à la batterie : Marcus, Eric Ichane au clavier, Harry Perigone au percus, Audrey Sangoumian au chœur, Jérémie Lapra à la basse, Laurent Robert à la guitare.
Par Greg Wallet et Florence Albon
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