Le retour des Congos
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Le retour des Congos

Les Congos sont entrés dans l’histoire du reggae avec le superbe « Heart of the Congos » produit par Lee Perry. Ils reviennent en ce mois de novembre pour une belle tournée en France et un nouvel album dont s’est occupé Médiacom. Interviews croisés entre Les Congos et Michel Jovanovic, le coproducteur du disque avec Lee Perry.

Reggae.fr : Peux-tu nous présenter ce nouvel album :
Michel Jovanovic : Nous faisons ce métier depuis 15 ans environ et pierre après pierre, nous essayons d’apporter nos pierres à l’édifice du reggae. Lee Perry a accepté de venir en Jamaïque pour produire ce nouvel album des Congos avec moi. L’idée était de retrouver la vibe du Black Ark. Bien attendu, il n’était pas question de refaire ce qui n’est plus possible de refaire, mais de réunir à nouveau ces artistes après plus de trente ans. C’était forcément une motivation, notamment pour les Congos.

Reggae.fr : Qui a eu l’idée les Congos et Lee Perry ?
Michel Jovanovic : C’est venu quasiment naturellement quand on a parlé du nouvel album avec les Congos. Pour eux c’était vraiment la réalisation d’un rêve. Quand Lee Perry est arrivé à l’aéroport, Watty Burnet avait encore du mal à y croire.

Reggae.fr : Comment s’est passé l’enregistrement ?
Michel Jovanovic : Comme d’habitude en Jamaïque, il y a des choses prévues qui prennent deux fois plus de temps à se faire et d’autres qui s’improvisent et donnent des résultats inespérés. En tout cas il y avait une super ambiance dans le studio. Ca a même inspiré une chanson à Cédric que les musiciens ont aussitôt joué et qui a été enregistré dans la foulée.

Reggae.fr : Etait-ce facile de ramener Lee Perry en Jamaïque pour produire avec toi cet album ?
Michel Jovanovic : Oui et non. Au début il ne voulait pas, disant qu’il ne refaisait pas deux fois la même chose. Finalement j’ai pu le convaincre, d’autant qu’il finissait sa tournée US à Miami qui est à côté. Mais c’est surtout le résultat d’une confiance qui s’est installée au cours des années de travail sur tournées qu’on a faites ensemble.

Reggae.fr : Comment s’est passé le choix des morceaux ?
Michel Jovanovic : On en a parlé ensemble avec les Congos, surtout pour les reprises, mais c’est surtout selon leur inspiration, d’autant que chacun des chanteurs apportent « ses » chansons. Lee Perryy a aussi quasiment improvisé « Spider Woman » avec Ashanti Roy et il a d’ailleurs chanté avec eux.

Reggae.fr : Quel est ton meilleur souvenir de studio ?
Michel Jovanovic : Tout ce que je viens de citer constituent d’excellents souvenirs, mais globalement voir des gens qui ne s’étaient pas revus depuis des dizaines d’années pour certains, et ressentir leur plaisir de se retrouver à retravailler ensemble, était vraiment une énergie positive. Lee Perry a même revu un de ses fils qui était dans une mauvaise passe pendant des années et qui est maintenant sous l’aile d’un producteur qui s’occupe de lui comme un deuxième père. Les Congos ne l’avait pas revu depuis l’époque du Black Ark, quand il avait cinq ans.

Reggae.fr : le pire souvenir ?
Michel Jovanovic : déjà oublié.

Reggae.fr  : Peux-tu nous parler de tes débuts dans la musique ?
Cedric Myton : Oh, c’est une longue histoire ! J’ai commencé avec le groupe The Tartans, puis The Royal Rasses et enfin The Congos. Aujourd’hui, je suis impliqué dans Inna De Yard qui est selon moi un autre berceau de la musique, car c’est du nyabinghi, c’est notre fondation. Alors Inna De Yard est aussi important que le reste dans ma carrière, c’est comme un nouveau wagon dans le train du reggae. Inna De Yard est même un train musical à lui tout seul, un train spirituel.

Reggae.fr  : Comment et à quelle époque se sont formé The Congos ?
Cedric Myton : Les Congos se sont formés il y a bien longtemps de cela. Comme je vous l’ai dit, notre premier groupe s’appelait les Tartans, puis avec Prince Lincoln Thompson, on a créé les Royal Rasses. On a fait un album sous ce nom, un album qui n’est toujours pas sorti mais je promets que vous l’entendrez bientôt. On l’a enregistré il y a 40 ans, mais j’estimais qu’il n’était toujours pas venu le temps de sortir cet album.. Le premier enregistrement des Congos date du début 77, mais nous étions ensemble avant d’enregistrer, vers 1972. Moi même et Ashanty nous nous connaissions depuis quelques années et pour l’enregistrement de l’album « Heart of the Congos », Watty Burnett nous a rejoins. Officiellement, nous étions The Congos.

Reggae.fr  : Pourquoi ce choix de « The Congos » ?
Cédric Mython : Nous avons choisi ce nom par rapport aux chansons que nous écrivions à l’époque. Lorsqu’on a composé les chansons de l’album « Heart of the Congos », le nom est venu avec le sentiment que nous inspirait notre musique, car elle ressemblait aux battements du cœur. C’est comme lorsqu’un sculpteur creuse dans le bois, il sait où il va mais il n’est jamais sûr du résultat, il na sait pas clairement ce qui va apparaître dans le bois.

Reggae.fr  : J’ai entendu dire qu’il s’agissait également d’une référence à la traite d’esclaves venus du pays, vrai ?
CM : Yeah man, c’est vrai. Il a été un des principaux pays, tout comme le Zaïre, etc, pillé de ses habitants.


Reggae.fr  : Est-ce qu’à l’époque, vous pensiez que votre musique vous ferait vivre financièrement ?
CM : Eh bien, dans un sens nous le faisions pour çà, bien sur. Mais, tu ne peux pas t’attendre à çà quand tu n’as pas de repaires. Sinon, il faut avoir une vision prophétique (rires)

Reggae.fr  : Comment avez-vous rencontré Lee Perry ?
CM : Nous l’avons rencontré au tout début de notre aventure. Ashanty le connaissait bien avant puisqu’ils sont potes de quartier. Sinon, nous le connaissions avant d’enregistrer chez lui. Mais Pour être précis, je l’ai rencontré à l’époque de Studio One, lorsque Lee travaillait encore avec Coxsone Dodd, donc dans les 60’s (Lee Perry a ouvert son studio, Black ark après son départ de Studio one).

Reggae.fr  : Quel est le pire enregistrement que vous ayez fait avec lui ?
CM : J’ai connu cette expérience en effet (rire). Alors il s’agit de « One night ». Nous, Ashanty, Watty et moi même, étions avec le groupe The Meditations. Nous avons chanté de 7 heures du soir jusqu’à 2 heures du matin !
Watty : Yes, c’était super long, il me semble que c’était plus du 3h ou 4h du matin.
CM : Yes !! Et cet « ugliest » de Lee Perry a totalement foiré tout notre enregistrement, tu te rapelles Watty ? ras !!


Reggae.fr  : Il a oublié d’enregistrer votre travail ou quoi ?
CM : Non man, mais c’était totalement inexploitable !

Reggae.fr  : Et au contraire, quel fut votre meilleur enregistrement ?
CM : C’est quand nous avons fait « fisherman ». Nous l’avons fait en 2 jours : Des musiciens le premier jour et d’autres musiciens le lendemain, et c’est cette 2nde version que tu connais puisqu’elle est sur l’album. Il y a donc deux version de « fisherman ». Celle du 1er jour et celle du 2nd. Il y avait Geoffrey Chung à la guitare le 1er jour et à la basse le 2nd jour par exemple en tant que musicien.

Reggae.fr  : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Lee Perry sur l’album « Heart of the Congos » ?
CM : Je connaissais Lee Perry avant que nous fassions cet album, à l’époque où il travaillait avec Coxsone chez Downbeat. J’étais un enfant quand il travaillait là-bas, mais à l’époque, tout le monde se croisait dans la rue, donc on se connaissait tous, on était une grande famille. Puis, Lee Perry est parti voler de ses propres ailes, il s’est fait un nom et il a beaucoup fait progresser la musique. Il a commencé à produire des tubes avec Bob Marley et beaucoup d’autres. Pendant ce temps, moi, je m’étais intégré à l’ordre nyabinghi, j’étais dans une approche plus religieuse. Puis, après un certain temps, Ashanti Roy et moi-même avons été voir Scratch Perry, car Ashanti Roy le connaissait un peu aussi, comme moi. Il nous a accueilli dans son studio (ndlr : Black Ark) et il a dit : « ici c’est une arche (ark en anglais) il faut faire une chanson à propos d’une arche. » Alors on a fait « Ark of the convenant ». Il chante : « Every morning the black sunrise, it shines out of the ark of the convenant yeah. Princess, princes and warriors, they were all safe in the ark of the convenant. »

Reggae.fr  : Quand vous avez enregistré « Heart of the Congos », pensiez-vous qu’il allait devenir un classique du reggae ?
CM : Umhh, dans un sens oui. Pour les musiciens c’était quelque chose d’« églesiastique ». nous venions de l’église nyabinghi et nous avions la possibilité d’amener au monde une façon de vivre, de penser, d’élever la conscience et en ce sens nous pensions que cet album allait révolutionner le reggae. C’était l’exposition de notre culture rasta. Mais le meilleur reste toujours à venir (rires). Vous savez, « Heart of the Congos » est notre album le plus célèbre, mais il n’a pas été distribué à sa juste valeur. Blood & Fire (ndlr : label anglais qui a réédité l’album en 1996) ne travaille plus aujourd’hui, ils ont fait faillite (rires). Ils ont fait leur temps, mais la musique vit toujours, alors nous, les Congos, nous allons nous occuper de sortir cet album en France comme il se doit.

Reggae.fr  : Dans cet album, il y a l’exceptionnel « Fisherman ». D’où vient ce titre ?
CM : C’est une chanson très spéciale qui figure sur l’album « Heart of the Congos ». Moi, je suis né dans une petite ville portuaire, Old Harbour Bay, qui est sur la route entre Spanish Town et Maypenn. La chanson « Fisherman » a été créée à partir de cette atmosphère. C’est aussi bien spirituel que physique, mais c’est la réalité de ce j’ai vécu et vis encore. Regardes les lyrics, c’est une histoire vraie : Il y avait 3 gamins dormant sur le sol. La maison c’était une pièce et une cuisine. Et puis un autre qui les rejoint. Cela traite de la pauvreté et de leur besoin de manger bien avant d’avoir un lit.

Cette chanson est-elle pour vous un moyen de faire référence à la nourriture I-tal ?
Et bien, il est vrai qu’il y a des rastas qui mangent du poisson, d’autres qui n’en mangent pas. En ce qui me concerne, j’en mange de temps en temps. Le fait de vivre et de manger de manière naturelle est une manière pour nous de passer d’un état à un autre, de nous élever. C’est ce qu’on explique dans la chanson de Inna De Yard, « Forever Young ».

Reggae.fr  : Qui as eu l’idée d’écrire « Ark of the Covenant » ?
CM : C’était une idée de Lee Scratch. Il nous a soumis çà et en une journée c’était écrit et enregistré !

Reggae.fr  : Comment expliquez-vous votre séparation aussi rapide  ?
CM : Donc après « Heart of the Congos », nous avions enregistré « Congo Ashanty » et « Visions of Africa ». Lorsque nous étions en train de travailler sur « Image of Africa », nous nous disputions sans arrêt. Il y avait quelques histoires d’égo également. C’était un ensemble qui a amené cette séparation. Mais nous avons terminé l’album tout de même.

Reggae.fr  : Cela semble te serrer le cœur de reparler de cette époque, tu ne veux pas trop polémiquer ?
CM : En fait, se remettre ensemble est un travail génial. Mais avant de nous reformer, j’ai personnellement fait beaucoup d’albums (15 environ) …

Reggae.fr  : …Pourtant en 1996, vous aviez déjà essayé de vous reformer avec un concert à New York…
CM : (L’air surpris) Yeah man, au SOB’s, c’était notre seul show et il n’y en a pas eu d’autres après.
Ashanty : Comment tu sais çà, tu y étais ? (rires)

Reggae.fr  : Les années d’or du reggae, les 70’s, sont emblématiques et l’on s’aperçoit qu’il y avait principalement des groupes. Comment l’expliques-tu ?
CM : C’est spirituel et cela amenait l’inspiration. Mais comme je le dis, « time will tell ».

Reggae.fr  : Avec quel autre genre de producteur aimez-vous travailler ?
CM : Tous les producteurs ! La musique est universelle, alors je travaille avec n’importe qui. Je peux travailler avec des producteurs de jazz, de funk, de punk, etc. tant que c’est de la musique. On ne peut que devenir meilleur si on se diversifie.

Reggae.fr  : Comment expliques-tu que l’Europe est devenu le principal continent voué au roots reggae ?
CM : Quel question ! Je pense que c’est tout aussi naturel que çà. Le quartier pour le reggae est l’Europe. En Jamaïque, où tout a commencé, nous sommes des rebels, et le dancehall correspond à cette vibe actuelle de rébellion.

Reggae.fr  : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec les Américains de Groundation ?
J’ai vécu un moment aux Etats-Unis. On s’est connus à la fin des années 90 à Santa-Cruz. On a fait de la musique ensemble, mais on a aussi fait un documentaire qui devrait sortir très bientôt. Il y a aussi l’album « Give Them The Rights » des Congos qui est sorti sur leur label, Young Tree.

Reggae.fr  : Vous avez également travaillé avec Inna De Yard, quelle a été votre réaction lorsqu’on vous a proposé le projet ?
CM : A l’époque je revenais tout juste d’Europe et je faisais beaucoup de travail en Jamaïque. Juste avant Inna De Yard, j’ai fait « Give Them The Rights ». J’ai aussi fait un album chez Studio One avec Coxsone juste avant qu’il décède. On a eu le temps de finir les enregistrements mais l’album n’est jamais sorti à cause de sa mort. Mais cet album est un chef-d’œuvre, croyez-moi. Ensuite j’ai aussi fait un album pour Joe Gibbs, enregistré par Errol T., juste avant qu’il meurt aussi. J’ai aussi collaboré avec Linval Thompson pour un autre album des Congos et enfin avec Akswad des Twelve Tribes. Ah, j’oubliais l’album produit par Bunny Lee aussi, « Cock mouth kill cock ». En tout cas je crois que j’ai fait 7 albums en revenant d’Europe avant de rencontrer Makasound. Nicolas est venu en Jamaïque et on s’est rencontré dans le Yard, car vous savez Inna De Yard existait bien avant Inna De Yard (rires).

Reggae.fr  : Tout ça s’est passé dans la même période ?
CM : Oui, c’était très ambitieux. Mais cela fait partie d’un programme qui évolue jour après jour. Car pendant cette même période, Ashanti Roy, Watty Burnett et moi-même avons reformé les Congos pour faire l’album « Swinging Bridge ».

Reggae.fr  : Que pensez-vous aujourd’hui de la génération New Roots ?
CM : Vous savez, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, aller où ils veulent, mais les fondations, la musique roots les rattrapera toujours. Les bases de la musique, c’est le nyabinghi. C’est ce que vous entendez dans la musique des Congos aussi, les battements du cœur.

Reggae.fr  : Quelle est votre point de vue sur le téléchargement, pensez-vous que le mp3 est en train de tuer l’industrie musicale ?
CM : Je pense que oui. En ce moment c’est ce qui se passe, les ventes de CDs baissent. La technologie évolue mais elle est destructrice. C’est comme un gros vampire. Ca anéanti notre énergie. Mais c’est à nous de nous rassembler et nous organiser pour renverser la tendance. C’est ce que nous expliquons dans notre chanson « Spiritual Organization ».

(interview à suivre...)

 

Par Djul, Semayat, Sacha Grondeau
Commentaires (1)
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Par semayat le 12/11/2009 à 07:45
C'est toujours un plaisir d'interviewer Cedric Myton et ses compaires. Ils ne pratiquent pas la langue de bois et sont toujours passionnés par ce qu'ils font. Ils ont tellement de choses à raconter en plus!! Sympa de voir l'explication du boss de Mediacom également ;)

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