La Jamaïque brille partout dans le monde
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La Jamaïque brille partout dans le monde

David Commeillas est journaliste chez Reggae Vibes, Vibration, Ragga mag. Il a réalisé plusieurs reportages sur la Jamaïque et "sélecte" les morceaux d'une excellente compilation "Jamaica Shines everywhere" dont le second volume vient de sortir. Voilà une bonne raison pour le rencontrer et faire le point avec lui sur le reggae, la Jamaïque et la musique en général.

Peux-tu nous faire un bilan du premier volume de la compilation Jamaica Shines everywhere ?

Au niveau des chiffres, on est entre 3 et 4000 ventes,  ce qui est pas mal vu la conjoncture actuelle, peu de compilations reggae font ce genre de score depuis la crise du disque. J’ai vraiment eu de bon retour autour de ce projet, puisque Radio Nova par exemple a mis en playlist le titre de Katchafire. Ca a permit au public de découvrir un peu ce groupe de Nouvelle Zélande dont les disques ne sont pas distribués en Europe. Tu peux imaginer des espèces de rastas maoris taillés comme Jonah Lomu  qui font du reggae avec une finesse improbable ? J’adore ce groupe. La compilation a donc permis de faire découvrir un autre visage du reggae néo-zélandais en dehors de Black Seeds et Fat Freddys Drop que vous (reggae.fr) aviez déjà mis en avant, il y a quelques temps. C’est une scène reggae assez riche et qu’on connaît peu. Rien que ce genre de découverte justifie à mes yeux le travail fait pour cette compilation.

Le concept de la compilation est de montrer comment le reggae est diffusé de par le monde ?

C’est exactement cela. Tout le monde sait que le reggae est né en Jamaïque, donc je trouvais intéressant de sortir du cliché, de montrer que le reggae existe partout, et paradoxalement moins en Jamaïque qu’ailleurs si on parle du roots acoustique... Il y a évidemment le new-roots en Jamaïque, mais les productions sont assez calibrées pour la radio et la télévision, les riddim de Don Corleon notamment. Aujourd’hui, si tu veux du bon reggae à l’ancienne, c’est peut-être mieux d’aller le chercher aux USA ou en Europe. Je voulais simplement montrer comment l’arbre du reggae avait grandit un peu dans tous les sens. Après, ce concept a ses limites puisqu’il n’y a pas de reggae d’Amérique du sud sur les deux volumes de la compilation par exemple. Ce n’est pas un style que j’apprécie trop, et l’idée était aussi de faire la meilleure sélection possible. Il y a quand même beaucoup d’artistes inconnus comme Laigwan Sharkie, un jeune chanteur signé sur le label de Patrice, ou Eric Kokotanjah produit par Manjul dont le morceau n’était sorti qu’au Mali.


Dans cette démarche, tu as choisi Pressure dont l’album n’est pas sorti en France alors qu’il apporte un vent de fraîcheur sur le reggae. Que penses-tu de la scène new roots actuelle ?

Je peux y trouver mon compte grace à des artistes comme Jah Cure, Chezidek ou Pressure, mais je trouve dommage qu’on ne retrouve pas en Jamaïque l’éclatement et la fusion musicale qu’on peut observer aujourd’hui dans la musique occidentale, avec notamment des artistes comme M.I.A.. A Kingston, on a l’impression que les artistes restent un peu enliser dans leurs carcans et que les codes de la musique jamaïcaine les empêchent de pousser leur créativité à fond. Peut-être simplement que je deviens vieux en fait, je suis de plus en plus sélectif.

Il y a pourtant eu quelques essais d’ouverture…

Oui, il y a eu des tentatives de casser les frontiéres, à l’instar de Ward 21 qui a essayé d’intégré un peu d’électro et de faire des mélanges. Pour le reste, Anthony B., Sizzla Luciano restent dans leurs optiques rastas et new-roots en continuant à exploiter les mêmes ficelles, avec talent certes, mais je n’entends plus rien qui me scotche vraiment ! J’apprécie toujours les « fondations », mais j’ai l’impression de ne plus rien entendre de surprenant en Jamaïque

Le reggae à Yard a du mal à se renouveler selon toi ?

Je ne peux parler que pour moi, je n’ai pas la vérité artistique sous le bras. J’aime le reggae pour ce qu’il est, c’est indéniable, donc il y a pas forcément besoin de nouveaux styles pour que j’en écoute. De temps en temps je vais apprécier un morceau de Jah Cure ou de Mavado, pour le plaisir, sans avoir besoin que cela soit forcément novateur. Mais j’ai quand même l’impression qu’il n’y a pas l’ébullition qu’on retrouve dans certains autres styles de musique actuellement, et je le regrette parfois.

Mais les Jamaïcains sont peut-être prisonniers du prisme : rasta / leur île / les ghettos

Depuis presque quinze ans que je vais les interviewer en Jamaïque, j’ entends dire que le plus important dans leur musique, c’est le message, le sens de leur parole. Si c’est vraiment cela l’essentiel, rien ne les empêche de divulguer les mêmes messages en tentant de nouvelles expériences musicales qui permettraient de rafraichir un peu la scène new-roots.

Sizzla a essayé par exemple en se posant sur des instrus hip hop…

Oui, Sizzla est un des rares à essayer de nouvelles choses, et c’est souvent positif. Quand il pose sa voix sur une guitare sèche et chante « I was born in a system… », ça donne un des meilleurs morceaux. Sizzla est un cas particulier, car depuis ses débuts, il a énormément renouvelé ses techniques vocales. Il est parti du très mélodieux Black Woman & Child, puis il y a eu des tournants dans sa carrière, avec des singles comme Attack ou Karaté où tu le découvrais avec une énorme voix, attaquant les riddims comme un rappeur. Puis quatre ans après, il s’est mis à sortir sa petite voix très aiguë, presque fausse. Mine de rien, Sizzla a vraiment une démarche artistique, il cherche souvent à explorer de nouveaux styles vocaux. Il n’y a pas que la radicalité de ses propos qui en font l’artiste le plus talentueux de sa génération, mais aussi et surtout ses capacités vocales et la volonté de trouver toujours de nouvelles idées. Même si ça n’a rien à voir, on peut dire la même chose de Terry Lynn qui est sur ma compilation : Son message est vraiment ghetto, même si elle a essayé d’adapter son toast à des beats un peu techno… Elle n’a pas fait de concession par rapport à ce qu’elle est, mais elle a pris des risques tout en gardant son intégrité artistique.

Est-ce que cela veut dire que tu as apprécié l’excursion de Shabba Ranks chez Bob Sinclar ?

Ouah… Tu vas loin. Je n’ai pas trop apprécié car je n’aime pas ce que fait Bob Sinclar, mais j’ai apprécié la démarche de Shabba Ranks : «  Balance ton beat, je vais essayer ! ». Je crois que certains Jamaïcains à sa place auraient dit : « Ce n’est pas le dancehall dont j’ai l’habitude, donc je n’essaie même pas ».

Dans ta sélection, tu choisis Alborosie qui est pourtant un des artistes new-roots qui s’approprie beaucoup de vieux gimmicks et s’inspire de manière de chanter de beaucoup de vétérans roots, ça n’a pourtant rien de novateur…

Alborosie s’attaque au président Italien sur le morceau que j’ai choisi, il ne parle pas de la réalité jamaïcaine mais de la situation de son pays d’origine. Dans mes compilations, il y a aussi cette volonté de respecter les fondations, les classiques, en même temps qu’un désir d’ouvrir le reggae vers autre chose.

Parlons un peu d’ouverture dans cette compilation avec notamment un morceau de Bitty Mc Lean « Latley ». Pourquoi l’avoir choisi ?

Ce morceau est un très bon exemple, puisqu’il commence très « dancehall », mais en même temps, c’ est une reprise de Stevie Wonder. Cela reste donc un titre très hybride : Une reprise d’un tube américain par un chanteur Jamaïcain qui vit en Angleterre et qui est produit par Sly & Robbie de façon dancehall.

Présente-nous Jaqee ?

Là encore, on est dans le métissage. Jaqee est une Ougandaise qui vit en Suède, elle a déjà sorti 3 albums qui n’étaient pas du reggae. Elle est assez libre artistiquement, et pour moi son album reggae est un des meilleurs de l’année, toujours avec son coté pop qu’elle assume parfaitement. Après, c’est vrai que les gens qui suivent un espèce de codes rasta ou de code roots reggae vont te dire que sa musique ne les concerne pas. Tant pis pour eux s’il n’ont pas l’ouverture d’esprit pour capter ce genre de « vibes », c’est dommage. Ils passent à coté d’un bon disque.

Tu participes donc à montrer combien le reggae est vivant aujourd’hui…

J’essaie. Quand je vais en Jamaïque et que je présente mes compilations aux artistes, les Jamaïcains me disent parfois merci, pour ce genre de compilation ou pour mon boulot de journaliste. Sans fausse modestie, on a quand même fait pas mal de chose pour le reggae. On a  fait vivre un magazine pendant huit ans, Ragga Mag. Il avait ses qualité et ses défauts, mais il a eu le mérite d’exister au moins, même si des gens pensent que c’était un gros trucs de Babyloniens pour ramasser de la pub, ou ce genre de conneries... Aujourd’hui, le marché a chuté mais on fait quand même Reggae Vibes avec la même équipe, en acceptant d’être payé des sommes minuscules. Les gens ne vont pas me croire, mais tant pis. La vérité, c’est qu’on fonctionne à la passion, simplement parce qu’on pense que c’est important que la France ait un magazine de reggae un peu officiel dans les kiosques. De la même façon, quand je montre cette compilation aux jamaïquains , ils apprécient qu’on montre combien le reggae, le style de leur île, brille partout dans le monde. Souvent, ils trouvent ça plus utile qu’une milliéme compilation de Studio 1.

C’est vrai que les Jamaïcains se sont toujours eux-mêmes inspirés de beaucoup de musiques pour créer et alimenter le reggae et qu’aujourd’hui certains producteurs étrangers essaient de faire plus jamaïcains que les jamaïcains…

C’est toujours pareil, et pas que dans le reggae. Les rastas parisiens, blancs ou noirs, qui ne veulent pas que leur nana mange à leur table parce qu’ils se prennent pour des bobos shantis, ils ont un probleme d’identité à mon avis. Ils ont des choses à se prouver, donc ils veulent se montrer encore plus radicaux que les bobos radicaux. Ce sont toujours les derniers convertis à une religion ou à une spiritualité qui essaient de montrer qu’ils sont les plus authentiques.

Cela dit, les meilleurs productions reggae actuelles sont souvent réalisées par des Européens…

Je suis d’accord avec toi, et je dirais même que les meilleurs productions ne sont pas celles qui calquent ce que font les rastas jamaïquains. Ce sont souvent les producteurs avec une autre culture, venant du hip hop, du funk, ou du punk qui proposent les meilleures choses plutôt que les  « intégristes » du reggae.

C’est la raison pour laquelle tu as sélectionné un morceau de Dubmatix sur ta compilation « Jamaïca shines Everywhere 2 » ?

Oui, le morceau ou il invite Pinchers illustre ce que je viens de dire. Cela fait longtemps que je n’avais pas entendu Pinchers aussi virulent que sur ce morceau.

Pour finir sur une note positive, ne sens-tu pas une certaine originalité chez les dérniéres productions de Shame Brown ou Don Corleon ?

Les artistes news roots et les producteurs dont tu parles sont des gens dont j’ai adoré le travail au début. Relis mes articles sur Junior Kelly, Chezidek, Richie Spice.... Le seul problème, c’est que cela fait 10 ans que rien n’a bougé. J’ai kiffé les trois premiers albums de Junior Kelly, je les connais par cœur, seulement le quatrième ressemblait beaucoup au troisième, idem pour le suivant, et celui d’après... A un moment tu te dis : « Et quoi d’autres ? ». Si des grands artistes internationaux restent intéressants, c’est parce qu’ils se renouvellent, qu’ils vont chercher ailleurs. Le mérite de Sizzla, dont tu parlais, c’est d’avoir essayé d’autres choses, à l’instar d’Horace Andy qui tentent souvent de nouvelles expérimentations. Evidemment, je n’écoute pas en boucle ces disques expérimentaux mais j’apprécie la démarche, et j’essaie toujours d’y trouver des titres à écouter.

Dernier coup de cœur musical reggae ?

Le Chezidek de Sly & Robbie, et le dernier Fat Freddys Drop. Leur nouvel album part dans le funk électro puis dans le roots. C’est une vraie réussite.

Prochain voyage en Jamaïque ?

Je ne sais pas encore. Je vais surtout en Afrique ces derniers temps.

C’est vrai que tu as produit l’album de Victor Demé qui a bien marché…

Oui, ça a été une superbe expérience, pas préméditée du tout, comme la plupart des choses que je fais. J’étais en reportage sur un festival au Burkina Faso et j’ai rencontré Victor Démé chez un Français installé là-bas, Camille Louvel. Victor était alors un artiste très modeste, il n’avait que sa guitare à lui, il ne possédait que ses chansons et rien d’autres. Il avait 45 ans et n’avait jamais sorti un album de sa vie. J’ai eu un coup de cœur incroyable en l’entendant chanter un soir. Je suis resté à l’écouter jusqu’au milieu de la nuit. J’avais alors 1000€ sur mon compte en banque et je me suis dit que, si au Burkina Faso, 1000€  était suffisant pour enregistrer un album, on devait le faire. On a trouvé des musiciens, puis enregistré le disque, qui est finalement sorti en France grace au coup de main des gars de Makasound par la suite. Un an plus tard, l’album a été élu « disque de l’année » par les auditeurs de France Inter. Et aujourd’hui, il est réédité dans 18 pays. On a même fondé un label, Chapa Blues Records, pour pousser d’autres chanteurs de blues africains et d’autres artistes de tous horizons. C’est un petit compte de fée pour nous.

 

Par Sacha Grondeau
Commentaires (2)
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Par Bless le 16/11/2009 à 12:01
T'as grave raison David, faut que les yardie essaie de s'ouvrir musicalement et que les européens évitent les clichés, et oué les mecs !!!
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Par Rémi le 22/11/2009 à 19:02
Tout à fait d'accord, les vrais nouveautés reggae ne se font plus en jamaïque ... éspérons qu'ils se réveillent vite. Ps : la compilation tourne en boucle dans ma chambre, elle est géniale, de nouveaus sons et de nouvelles ambiances, merci

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