Interview Macka B
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Interview Macka B

MACKA B – 5 FEVRIER 2010 – AVIGNON
En concert en mode sound-system aux Passagers du Zinc à Avignon, Macka B a répondu à nos questions après un show impeccable. Affichant un grand sourire, il n’a pas dérogé à sa réputation de « gentil ratsa ». Rencontre avec ce grand monsieur du Reggae.

Pour commencer, peux-tu nous dire comment tu as commencé dans le Reggae ?
Ouh là ! Ca remonte à très longtemps car je suis né dans le Reggae Music. Quand j’étais enfant, le père de mon meilleur ami avait un sound-system, il faisait des soirées tous les samedis soir et moi j’y allais à chaque fois ; j’adorais entendre la basse gronder. Avec mon ami, on aimait beaucoup ces soirées et on s’était promis d’avoir un sound-system quand on serait plus vieux. Et finalement, son père lui a offert le sound-system et on a perpétué l’activité. A cette époque, je ne prenais jamais le micro, je faisais juste partie du sound, je passais des bons moments, je donnais des coups de main pour porter les boxes et tout ça. Mais chez moi, je m’entraînais au chant Deejay. J’étais timide alors je gardais ça secret. J’étais comme un pirate car je ne faisais que copier les Deejays comme U-Roy, I-Roy, Big Youth. Un jour, pendant le sound-check de notre sound, le chanteur n’était pas là alors j’ai pris le micro et tout le monde a dit : « Quoi ?! Tu sais chanter ? Tu dois faire le Deejay ce soir ! » J’ai commencé à écrire mes propres paroles et la réaction du public était bonne car il pouvait m’identifier. J’avais mon propre style, je ne copiais plus les grandes stars.

Comme tu l’as dit, beaucoup de Deejays t’ont inspirés. Mais tu as écris une chanson en hommage à Garnett Silk. Est-ce-qu’il t’a inspiré lui aussi ?
Bien plus tard oui. Il est arrivé après des gens comme U-Roy, I-Roy, Black Uhuru, Bob Marley, Peter Tosh et Burning Spear. Tous ces artistes m’ont inspiré quand j’étais jeune, à mes débuts. Garnett Silk m’a inspiré plus tard, et il m’inspire toujours car tu peux piocher de l’inspiration partout. Même un petit bébé peut te donner de l’inspiration. Garnett est un grand, il a poussé la nouvelle génération de rastas à se tourner vers le style « conscious ». Il faut lui rendre hommage.

Comment était le monde du Reggae en Angleterre quand tu as commencé ?
C’était big. A cette époque, le Royaume-Uni était en train de détrôner la Jamaïque en tant que centre du Reggae. D’ailleurs, Bob Marley est devenu très connu après son passage en Angleterre. Les gens croient qu’il était une star en Jamaïque, mais c’est faux. Les Jamaïcains le connaissaient, mais il est réellement devenu grand après être rentré d’Angleterre. Beaucoup d’artistes jamaïcains ont fait comme lui, Dennis Brown, Sugar Minott. Le Royaume-Uni était vraiment LA terre du Reggae. Le Sunsplash Festival à Crystal Palace était énorme. Plusieurs milliers de personnes y venaient. Mais ça a changé aujourd’hui, le gouvernement essaye d’atténuer le mouvement Reggae car ils connaissent le pouvoir de la musique. Même s’ils ont salué le talent de Bob Marley, ils veulent éviter qu’un nouveau Bob apparaisse. Car le Reggae est la musique du peuple, c’est la musique de la révolution.

Et à l’époque, c’était compliqué d’être rasta en Angleterre ?
Pas tant que ça. Pour certains ça pouvait l’être, mais pas pour moi car mes parents étaient cools. La plupart du temps c’était les parents qui représentaient un frein à rasta. Les jeunes rastas se faisaient expulsés de leur famille car leurs parents n’approuvaient pas. Mais moi je n’ai pas eu de soucis avec mes parents, en plus mon grand-frère était rasta aussi et ensemble, on était plus forts. J’avais beaucoup d’amis rastas aussi et donc on rassemblait nos forces. On se battait contre la cruauté de Babylon, mais nous étions nombreux et unis, alors ce n’était pas si dur d’être rasta. Je pense que c’est plus difficile aujourd’hui.

C’est pour ça que tu as écrit « Rasta Rise Again » ?
Yeah man. Car certains rastas de ma génération pensaient qu’ils devaient se fondre dans la société. Ils se disaient : « peut-être que je dois couper mes locks, mettre une cravate et un costume... ». Mais ils se sont rendus compte que ça ne marchaient pas, la société ne voulait pas les intégrer. Le racisme reste le racisme, que tu aies des locks ou non. Cette chanson s’adresse à tous ceux qui suivent la culture Rastafari, elle dit que tu ne dois pas te plier au système, tu dois utiliser le système à ta manière.

Et tu as sorti cette chanson sur un label français...
Oui Kaliwa. C’est un frère de Paris, un rastaman. Il est venu me voir avec un riddim en me demandant de faire quelque chose dessus. Et c’est un riddim que j’adore, le Swing Easy, de l’époque des Skatalites et de Studio One. Don j’ai fait Rasta Rise Again pour ce frère et c’est devenu un morceau connu partout dans le monde.

En fait, il y a une histoire d’amour entre toi et la France puisque tu sais chanter en Français...
Ah ! Oui, on peut le dire comme ça. J’ai appris le Français à l’école. Mais je n’imaginais même pas que j’irai un jour en France. Puis j’ai commencé à y aller de plus en plus souvent alors je me suis intéressé un peu plus à la langue française. Parce que j’aime communiquer avec les gens, j’aime leur dire des choses qu’ils peuvent comprendre. J’ai fait une chanson qui s’appelle « Lingua » où je chante en vingt langues différentes, car j’adore la communication et je trouve que les langues sont une chose magnifique. Par exemple, la première fois que je suis allé à Mexico, j’ai fait une interview radio où je me suis rendu compte que j’étais très populaire là-bas. Alors j’ai demandé à l’animateur quelle était la chanson de Macka B la plus connue au Mexique. Et il m’a répondu « J’adore le Reggae ». J’ai dit : « Quoi ? Mais cette chanson est en Français et vous parlez Espagnol ici ! » Alors je suis allé voir mes musiciens et je leur ai dit qu’on devait absolument jouer cette chanson sur scène. Et quand on l’a joué, la foule est devenue dingue. Ils connaissaient toutes les paroles, du début à la fin de la chanson, alors qu’ils ne parlent pas un mot de Français. C’est ça le pouvoir des langues, c’est pour ça que je les aime tant.

Et tu as aussi collaboré avec Sinsemilia...
Yeah man ! Mike est un bon ami. J’ai fait une chanson avec eux qui s’appelle « Fight Here ». Je les aime beaucoup, toute l’équipe de Grenoble. C’est une ville très Reggae Grenoble... Sinsemilia, big up ! Cela fait plaisir de collaborer avec des gens comme ça, des gens « conscious ».

Quand es-tu allé pour la première fois en Jamaïque et qu’as-tu ressenti ?
C’était en 1982. J’étais jeune encore. La vibes était excellente... En fait, la plupart des membres de ma famille vit en Jamaïque. J’ai quatre sœurs qui vivent là-bas, et trois frères aussi et à peu près trente oncles et tantes (rires). Donc quand je suis allé à Jamaïque, c’était comme si je rentrais à la maison. J’étais invité par tout le monde. J’ai aussi pris le micro dans un club et ma famille s’est rendue compte que j’étais un bon Deejay. Alors ils m’ont encouragé. Cela m’a donné beaucoup d’inspiration et quand je suis rentré en Angleterre, j’étais encore meilleur. Ce qui m’a beaucoup plu aussi c’était la vibration rasta. Elle est vraiment présente en Jamaïque.

Et le Reggae en Jamaïque était-il différent du Reggae en Angleterre ?
Je ne crois pas non. Pour moi, le Reggae c’est le Reggae. En plus, la plupart des gens qui faisaient du Reggae en Angleterre étaient issus de la communauté jamaïcaine... tu vois, des groupes comme Aswad, Steel Pulse ou Misty In Roots. Et quand je suis allé en Jamaïque pour la première fois, le tube du moment là-bas était « Rasta Pon Top » des Twinkle Brothers. Ils avaient autant de succès que Yellowman alors qu’ils venaient d’Angleterre et qu’ils faisaient du Roots. Alors tu vois, je pense qu’il n’est pas bon de séparer la musique ou de la ranger dans des cases genre le Reggae UK ou le Reggae français etc. Je ne veux pas entendre parler de Reggae américain ou de Reggae jamaïcain, je veux juste entendre parler de REGGAE tout court. Cela donne plus de force au mouvement.

Pour revenir en Angleterre, peux-tu nous parler de ton travail avec Mad Professor ? Il s’agit bien d’un son particulier qui vient d’Angleterre et non de Jamaïque...
C’est vrai, j’ai toujours beaucoup aimé les riddims de Mad Professor. Car j’aime le Dub depuis longtemps. Mais tu sais, le son de Mad Professor est un héritage de celui de King Tubby’s et de Scientist qui sont des Jamaïcains, donc... C’est pareil avec les Upsetters de Lee Perry. Ils ont eu beaucoup de succès et d’impact en Angleterre car on jouait leurs albums Dub dans les sound-systems. Mad Professor fait partie de ce « clan » de grands ingénieurs du son. En fait notre collaboration a commencé quand il m’a appelé car il m’avait vu à la télé. Je participais à une émission chaque semaine sur la BBC, j’écrivais un petit texte sur l’actualité. Mad Professor m’a vu dans cette émission et il m’a invité dans son studio pour me rencontrer. Il m’a fait écouter des riddims sur lesquels je chantais et on a très vite collaboré pour l’album « Sign of the Times ». Et après on enchaîné LP sur LP, on a du en faire 16 ensemble je crois. Mad Professor est quelqu’un de conscient et c’est ce que j’aime chez lui. Il me respecte beaucoup, il n’est pas sans arrêt en train de me dire « Mack B ne fais pas ci, ne fais pas ça... » Give Thanks Mad Professor. Nous avons d’ailleurs un nouvel album qui va sortir, il s’appellera « Warrior Style ». Macka B & Mad Professor ! Surveillez sa sortie !

Mad Professor est-il réellement fou ?
Euh... non. Parfois ce sont les gens qui prétendent ne pas être fou qui le sont le plus. Ceux qui se font appeler fous, ne le sont donc pas forcément... (rires).

Peux-tu nous parler de ta chanson « Proud of Mandela » ? Pourquoi Mandela est-il si important pour toi ?
L’apartheid a été une période cruelle. Mandela est allé en prison parce qu’il se battait contre ce système cruel. Il a assumé ses convictions et a fait beaucoup de sacrifices. Quand les gens s’en sont aperçus, on a vu ça comme le commencement d’un changement dans les mentalités. Les gens ont commencé à comprendre l’absurdité de l’apartheid. Mais même si Mandela s’est bien battu, même s’il est devenu le Président de l’Afrique du Sud, il y a des mentalités qui n’ont pas changé. Ils font montrer du doigt ces problèmes. Nous rendons grâce à Mandela et à tous les sacrifices qu’il a faits. Aujourd’hui, c’est à nous de continuer son combat car il y a encore beaucoup d’horreurs en Afrique du Sud. Il y a beaucoup de crimes. Et même s’il y a enfin des Noirs dans le gouvernement, ce sont toujours eux qui souffrent le plus des crimes et de la pauvreté. L’argent est mal réparti en Afrique du Sud.

Est-ce que tu as vu le film « Invictus » qui vient de sortir et qui parle de Mandela ?
Non... mais j’ai vu le vrai Mandela, donc... (rires). J’ai chanté devant lui en Jamaïque dans le National Stadium. J’étais en Jamaïque pour un autre concert et le jour où je devais rentrer en Angleterre, j’ai appris que Mandela serait au National Stadium. On m’a invité à la dernière minute au concert pour que je chante et tout de suite après on m’a vite emmené à l’aéroport. Donc j’ai joué devant Mandela. C’était un grand moment pour moi. Bonne bonne vibes !

Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ? Et le pire ?
Je suis reconnaissant pour tout ce qui m’est arrivé dans ma carrière. Je ne regrette rien et je ne changerais rien même si j’en avais l’occasion. Je suis reconnaissant pour tous les petits détails qui m’ont accompagné. Je suis reconnaissant envers tous les gens conscients que j’ai rencontré. Je suis heureux d’avoir pu retourner en Afrique, car même si mes origines sont jamaïcaines, ma maison c’est l’Afrique. En même temps, je suis très heureux d’être respecté en Jamaïque car c’est de là que vient le style Deejay. Mais cela me fait autant plaisir d’avoir du succès en France ou en Allemagne. Il faut se satisfaire de tout. Mon pire souvenir par contre je ne m’en souviens pas. Parfois, ce qui est mauvais, il vaut mieux l’effacer...

Par Djul
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