Doreen Shaffer interview
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Doreen Shaffer interview


En tournée avec les infatigables Skatalites, Doreen Shaffer nous a fait l’honneur de répondre à nos questions quelques minutes avant sons concert à l’Akwaba à Châteauneuf de Gadagne (84). Toujours souriante et disponible, elle évoque avec nous des souvenirs inscrits à jamais dans l’histoire de la musique jamaïcaine. Rencontre inoubliable avec la Mamie du Ska !

Pour commencer, pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la musique ?
Et bien, les Skatalites ont commencé en 1964. Mais moi j’ai commencé quelques années avant. J’étais passionnée par la musique et je voulais en faire mon métier, alors je suis allée à Studio One pour passer la célèbre audition. En fait c’est un bon ami à moi qui m’a présentée à Sir Coxsone, donc il avait un bon a priori sur moi. Et c’était plutôt une bonne chose, car je l’ai observé mener ses auditions, et parfois, ils disaient à certains : « Tu peux revenir dans 6 mois, dans 1 an ou dans 2 ans... » (rires). Ca voulait dire qu’il n’était pas satisfait. En tout cas, moi ce n’est pas ce que je voulais entendre le jour où j’ai passé mon audition.

Et comment s’est-elle passée cette audition ?
J’étais assise dans la cour de Studio One. On était plusieurs à passer des auditions, chacun son tour. Coxsone est venu me chercher. Alors j’ai pris le petit bout de papier sur lequel j’avais écrit des paroles... car mon but était d’écrire mes propres chansons, je ne voulais pas me contenter de faire des reprises. A l’époque j’étais fan de la chanteuse américaine Dinah Washington. Elle avait cette chanson « What a difference a day makes ». J’ai donc écrit mes propres paroles sur la mélodie de cette chanson et ça a d’ailleurs donné mon premier disque : « Adorable you ». J’ai chanté cette chanson à l’audition et Coxsone a été satisfait.

Il vous a demandé de revenir au bout de combien de temps ?
Il m’a dit de revenir le lendemain. Donc c’était parfait ! Je suis revenue le lendemain et on a enregistré le morceau avec les musiciens de Studio One. A l’époque les Skatalites n’existaient pas. Ils étaient tous musiciens de studio. A cette session d’enregistrement, j’ai rencontré Lloyd Knibb, le batteur et il m’a parlé de son intention de former un groupe avec d’autres musiciens de studio. Il a été séduit par ma voix et m’a demandé si le projet m’intéressait. Le problème était que j’allais encore à l’école, donc j’avais besoin de l’accord de ma mère... (rires)

Quel âge aviez-vous ?
J’avais entre 16 et 18 ans, je ne me souviens plus exactement. Mais ce qui est sûr, c’est que j’allais encore à l’école. Et donc, Lloyd Knibb m’a proposé de rencontrer les autres musiciens à l’origine du projet. J’ai donc fait connaissance avec Roland Alphonso, Lloyd Brevett, Lester Sterling, Johnny Moore... ils étaient tous là. Ils ont fait une répétition downtown, mais ma mère n’a pas voulu que j’y aille bien que j’avais été intégrée au projet. Et le directeur d’un club de Kingston a assisté à cette répétition et il a décidé d’organiser un concert avec le groupe. Ils ont donc été obligés de trouver un nom rapidement. Je ne sais pas vraiment qui a eu l’idée de ce nom puisque je n’étais pas là, mais je crois que Lord Tanamo y est pour quelque chose. En fait le nom Skatalites est venu d’un commun accord puisqu’à l’époque ils sortaient souvent dans un club qui s’appelait le « Moon Orbit ». Ils voulaient s’appeler les Satellites, mais quelqu’un a eu l’idée du jeu de mot avec Ska et ça a donné les Skatalites. Quand je suis retournée en studio avec tous ces musiciens, Roland Alphonso, Don Drummond, Scully Sims et tous les autres, Coxsone m’a présenté Jackie Opel...

Et vous avez formé un duo ensemble...
Exactement. On a fait quelques chansons ensemble, dont 2 sont devenues des hits à l’époque : « The Vow » et « Welcome You Back ». Jackie Opel a aussi fait partie des chanteurs des Skatalites. Pendant un moment, nous étions 4 chanteurs. Il y avait Lord Tanamo, Tony Da Costa, Jackie et moi. Tony et moi, on faisait des ballades et avec Jackie, on faisait du pur Ska.

Et pensez-vous que ce sont vraiment les Skatalites qui ont créé le Ska ?
Absolument. Cela vient plus précisément de Lloyd Knibb, le batteur. C’est précisément lui qui a eu l’idée de changer le rythme de la musique jamaïcaine.

Et quel était le rythme avant ce changement ?
En Jamaïque, les musiciens jouaient du Rythm & Blues avant le Ska. Surtout chez Studio One, car  Coxsone ramenait des disques des Etats-Unis et à l’époque c’était le Rythm & Blues qui prédominait là-bas. Il ramenait ces disques et il demandait à ses musiciens de les jouer à leur façon, jusqu’à ce que Lloyd créée le Ska. Il a mélangé la musique américaine, le Rythm & Blues, avec les rythmes caribéens comme le Mento. Et c’est devenu la première musique authentiquement jamaïcaine.

Le Ska est devenu en quelque sorte un emblème de l’indépendance de la Jamaïque en 1962...
Oui en effet...

Y a-t-il un aspect politique dans cette musique ?
Et bien... Pour moi, la musique n’a rien à voir avec la politique. Mais certaines personnes ont parfois mélangé les deux. Quand on me demande mon avis sur certaines questions politiques... je réponds que je fais de la musique et que je ne veux pas tout mélanger. Je fais ce pour quoi je suis douée et je ne m’occupe pas du reste. Mais le Ska a été le symbole de l’indépendance car il a rassemblé les gens, il a amplifié la joie de tout le monde à l’époque car c’était une musique très festive.

L’indépendance a-t-elle été une bonne nouvelle pour vous ?
Pour moi, complètement. Et surtout j’étais heureuse de pouvoir célébrer cet évènement en musique (rires...) Et je suis encore plus heureuse de voir que cette musique, le Ska, a encore du succès partout dans le monde. Je suis très reconnaissante pour ça.

Pour revenir à Coxsone. Beaucoup d’artistes se sont plaints de leur relation avec lui. Comment était-il avec vous ?
Pour être honnête, je n’ai jamais eu de problème avec lui. Car, comme je l’ai dit, la personne qui m’a envoyée à lui était un de ses amis très proches. Je n’ai passé que du bon temps avec lui. J’étais payée correctement pour chaque morceau que j’enregistrais. On signait même des contrats, tout était clair, jamais d’embrouilles. Je sais que d’autres ont eu des problèmes à ce niveau-là avec lui et je trouve ça triste, mais moi je ne peux pas me plaindre de ce côté-là.  

A l’époque, le grand rival de Coxsone était Duke Reid. Avez-vous également travaillé avec lui ?
Non j’ai toujours travaillé avec Coxsone. Je n’avais pas de problème donc je n’avais aucune raison de partir. Toute ma carrière musicale s’est faite à Studio One.

Vous n’avez travaillé avec aucun autre producteur ?
Si j’ai quand même fait quelques chansons avec Jackie Edwards pour Bunny « Striker » Lee. J’ai travaillé avec quelques petits producteurs mais vraiment pas beaucoup. Depuis quelques années je travaille aussi pour un producteur allemand du label Moskito, à Munster. Il est venu me voir dans un festival où je jouais et il m’a dit qu’il aimerait beaucoup travailler avec moi. On a fait un projet avec Dr. Ring Ding. Sinon, en ce moment, mis à part les Skatalites, je fais des tournées avec les Moon Invaders, un groupe belge. On a enregistré quelques morceaux ensemble aussi.

Vous avez fait beaucoup de chansons d’amour tout au long de votre carrière. Pourquoi l’amour est-il si important pour vous ?
Parce qu’il évoque la joie ! Vous savez, je ne suis pas une révolutionnaire. S’il y a des choses qui ne vont pas, il y a des gens qui savent très bien les dénoncer. Moi, je ne veux pas risquer de prôner la violence. Je préfère parler de ce que je connais le mieux. La plupart des artistes écrivent à propos de leurs propres expériences, et pour moi, l’amour est la meilleure chose qui me soit arrivée. Tout n’a pas été rose dans mes relations bien sûr, mais je n’écris pas de chansons là-dessus (rires).

Pour finir, que pensez-vous de la nouvelle génération d’artistes féminines jamaïcaines ?
Je suis très contente qu’elles soient là pour reprendre le flambeau. Elles représentent très bien les couleurs de la Jamaïque. Nous avons besoin que les jeunes continuent le travail... J’aime beaucoup Queen Ifrica, Tanya Stephens, mais aussi les plus anciennes qui sont arrivées après moi comme Pam Hall ou les I-Threes. J’aime aussi les jeunes deejays masculins comme Sean Paul ou Shaggy, tant que leur musique n’est pas violente et qu’ils ne font pas de slackness, je trouve que cela est une bonne évolution de notre musique. J’aime beaucoup Tarrus Riley aussi en ce moment, je l’ai vu en concert à Miami et je l’ai trouvé formidable.

 

Par Djul
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