Women We Need You
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Women We Need You

WOMEN WE NEED YOU: Des princesses du Reggae aux Bad Girls du Dancehall

8 mars, journée internationale de la Femme. Comme chaque année, j’entends déjà certains ironiser « 1 jour pour la femme, 364 jours pour l’homme », mais pour soigner les petits bobos de leur égo de mâle, tout a été pensé : la journée internationale de l’homme (oui l’homme avec un petit « h », le mec quoi) a lieu le 19 novembre, mais c’est vrai qu’elle ne suscite pas autant d’engouement, je vous l’accorde. Je m’égare, moi ? Non, jamais. Je profite juste de cette coïncidence calendaire pour vous livrer un sujet qui me tient à cœur.

Elles se comptaient il y a encore quelques années sur les doigts d'une main, les artistes féminines présentes sur la scène dancehall jamaïcaine. La situation s'est depuis largement débloquée : Tifa fait un malheur en Jamaïque, Tiana est désignée comme la nouvelle sensation, déjà baptisée « Princesse du dancehall ». Les filles sont désormais de plus en plus nombreuses et n’ont pas dit leur dernier mot !

*** Aux origines ***

La gente féminine a toujours été présente dans l'industrie musicale jamaïcaine.
Ironie du sort, la première personne de nationalité jamaïcaine à avoir rencontré le succès à l’international était une femme, Millie Small, avec « My Boy Lollipop » en 1964.

A la même époque, les studios les plus mythiques voient défiler beaucoup de femmes. Beaucoup de compilations reprennent cette époque, comme la Trojan Reggae Sisters Box Set, « Queens of Jamaica » ou encore, ma préférée, intitulée « Feel like jumping : The Best of STUDIO ONE Women » qui est un témoignage particulièrement éloquent de cette période : on y retrouve notamment la merveilleuse Nana Mclean, Norma Fraser et son hit ‘First cut is the deepest’, Hortense Ellis, Cecile Campbell, Jenifer Lara, Dawn Penn et son éternel ‘No, No, No’, et, bien sûr, Marcia Griffiths. 

Mais ces femmes, toutes aussi remarquables les unes que les autres, ne se verront pas accorder la place qu’elles méritent alors et resteront les femmes, les sœurs, et, surtout, les choristes des hommes, à l’image de Marcia, qui formera, avec Judy Mowatt et Rita, les I-trees, les choristes de Bob Marley. Aucune ne parviendra à s’imposer, à se faire réellement une place.

                             
                              Marcia Griffiths

Le mouvement féminin connaît un nouveau souffle quand apparaît, avec l’évolution rapide et parfois brutale que fut celle de la musique jamaïcaine, le dancehall : on voit émerger durant les années 1980 les premières deejays féminines, avec en tête de file Sister Nancy, qui livrera sa version, classique et inévitable, du titre « Bam Bam ».

Après que les Sisters  (Nancy, Charmaine et bien d’autres encore) aient ouvert la voie, quelques petits soubresauts de succès ont bien été ressentis.

En effet, on ne peut pas faire l’impasse sur le succès international que deux femmes ont eu la chance de connaître dans les années 90. Les heureuses élues étaient Patra et Diana King, qui se sont sans doute trouvées au bon endroit au bon moment, précisément à un moment où le monde était réceptif à cette vague jamaïcaine, grâce notamment à ce bon vieux Shabba Ranks, qui s’exportait merveilleusement bien.

C’est d’ailleurs par le biais de ce dernier que Patra se fait remarquer : elle apparaît en featuring sur le titre ‘Family Affair’. Tout s’enchaine ensuite très vite, elle fait un tabac aux Etats-Unis, se classant dans les charts, et sort son premier album « Queen of the Pack ».


Patra

Diana King suit sensiblement le même schéma, à la différence près qu’elle ira directement s’acoquiner, le temps d’un duo, avec un américain, et pas des moindres puisqu’il s’agit de Notorious B.I.G. Elle signe dans la foulée un contrat avec Sony (rien que ça !) et lâche le hit ‘Shy Guy’.

Les deux auront vite été perdues de vue, la première laissant indélébilement son nom dans le langage commun, puisqu’il est utilisé jusqu’aujourd’hui pour désigner les grosses tresses qu’elle a rendue populaires (c’est déjà ça, non ?).

Pour les autres, ce fut plus compliqué.

*** Saw, Tanya, Ce'cile – 1, 2, 3, on saute à 4 et on recommence  ***

Début des années 2000. A la suite de divers prélèvements et analyses sur la planète dancehall, les résultats s’accordent sur le chiffre 3. A l’époque, trois artistes seulement sur qui les femmes pouvaient vraiment compter pour être représentées, sont parvenues à se faire entendre, ont fracassé les portes et brisé les tabous. Elles font figures de véritables modèles et sources d’inspiration pour la nouvelle génération, qui leur doit tout.

*Astuce  - oui, j’écris des articles interactifs maintenant : Si vous ne souhaitez pas lire ces portraits, ne m’abandonnez pas, vous pouvez juste passer à la partie suivante !

 

#1 LADY SAW

Au départ, Marion Hall ne s’était certainement pas mise en tête de devenir la référence du slackness au féminin. Non, elle voulait être une gentille petite chanteuse, et a commencé avec des paroles bien proprettes. Résultat peu surprenant : tout le monde s’en moquait comme de l’an 40. Pour attirer l’attention, il fallait s’y prendre autrement et choquer.

Alors qu’elle n’est encore qu’une jeune adolescente de la campagne de St Mary, elle fait souvent le mur pour se rendre à  des soirées sound systems. Un soir, elle ose demander le micro et surprend tout le monde par sa prestance sur scène, sa puissance vocale, et surtout par son audace : elle se met à clasher les artistes masculins présents dont Lieutenant Stitchie, qui restera très impressionné ! Elle met le feu au public, qui la déclare gagnante, et un type du sound, lui donnera à la fin de la soirée un contact sur la capitale, Kingston.

Elle deviendra Lady Saw, deejay irrésistiblement provocante au style agressif et aux paroles crues, qui attaque les hommes sur leur propre terrain, le slackness. La formule fonctionnera à merveille, tout le monde ne parle bientôt plus que d’elle. Elle est même bannie de certaines villes, à cause de ses paroles et de ses prestations scéniques plus que suggestives ; Elle dénoncera donc le fait qu’aucun homme n’a dû subir les mêmes sanctions !


Lady Saw

Ses anciens hits comme ‘Sycamore Tree’, ‘It’s Raining’, ‘Good Wuk’, ‘Hice it up’, ‘Don’t even stress dat’, la ballade country (oui!) ‘Give me a reason’ ou encore ‘Backshot’  sont quelques un des sons qui lui ont permis de s’imposer solidement sur une scène dancehall dominée par les hommes.
Depuis, la liste de ses hits marquants n’a cessé de s’agrandir, et elle reste la seule deejay féminine à avoir remporté un Grammy (pour sa collaboration avec le groupe No Doubt).

Lady Saw est la Reine incontestée du dancehall, la seule, l’unique. Une carrière qui s’étend déjà sur deux décennies, 9 albums en tout, dont 8 parus chez VP et le dernier, ‘My Way’ (2010) sur son propre label, Diva Records.

#2  TANYA STEPHENS

Certains se rappellent avec émotion des premiers sons de Tanya datant des années 90 et vous diront : Tanya était en mode dancehall !

Oui, c’est sûr, comment oublier des sons comme ‘Goggle’, ‘Handle the ride’  ou encore ‘draw fi mi finger’.
Cette période a vu naître 4 albums (!) de la belle et s’est étendue jusqu’aux années 2000 ( « Mi nuh waan nuh mant fi flop/Mi nuh want nuh man fi stop/him haffi ride it all night » nous disait-elle par exemple sur le Hydro riddim en 2003).

Celle connue et reconnue pour sa force tranquille, sa classe et sa discrétion, sa musique reggae et ses lyrics lovers ou conscients a bien commencé par la case dancehall slackness.

                        
                         Tanya Stephens

Elle est consacrée en 2004 grâce à son excellent album « Gangsta Blues », qui la propulse au sommet. L’opus  contient notamment les désormais classiques « It’s a pity » et « Can’t Breathe », bombes reggae en puissance.
Depuis, son succès ne s’est jamais démenti, avec deux autres albums, Rebelution (2006) et Infallible (2010).
Pour tous, elle est l’exemple féminin à suivre.

# 3 CE’CILE

C’est un peu la petite sœur de Lady Saw, en version moins agressive,  plus glamour. Plutôt que de la voir comme une menace, Mumma Saw lui apportera tout son soutien et la conseillera.

Cecile Charlton se fait d’abord remarquer en 2000 pour sa double apparition sur le Latino Riddim avec une reprise de ‘If you had my love’ de Jennifer Lopez et un featuring avec Saba. Le riddim rencontre un très gros succès, grâce au hit ‘Crazy looks’ de Capleton, un medley vidéo est tourné et Ce’cile y apparaît.

Cette première véritable exposition est bénéfique, mais pas suffisante : comme tous les médias, en toutes les langues, aiment à le répéter, la chanteuse lâche alors pour créer le buzz le titre ‘Changez’, dans lequel elle se moque d’une pléiade d’artistes masculins.
Elle ne s’est d’ailleurs jamais cachée de l’unique finalité de ce morceau, puisqu’elle chante à l’intérieur même de celui-ci : « Can’t sing Jennifer Lopez tune all my life ».


Ce'cile

Ce qu’on n’a moins répété, c’est qu’elle fut aussi productrice, travaillant entre autres avec Kings of Kings sur les séries du Chiney Gal Riddim et du Double Jeopardy.
En 2001, son featuring avec Sean Paul pour l’inoubliable ‘Can you do di wuk’ et son duo avec Elephant Man pour ‘Bad Gal, Bad Man’ (qui lui vaudra son surnom de Bad Gyal) sont des hits en puissance.
 
C’est un long périple qui commence, la vie est injuste, et le public aussi : la reconnaissance qu’elle mérite ne lui sera véritablement offerte que bien des années plus tard. Beaucoup suivront sa carrière en pointillés et retiendront uniquement les hits ‘Do it to me’, ‘Hot like we’, ‘Loser’ featuring Lady Saw, ‘Dear Simone’, puis plus tard ‘I’m Waiting’, ‘Anything’ …
Qu’à cela ne tienne, Ce’cile sera de la partie avec des cuts toujours de qualité sur les plus gros riddims des années 2000 : Blindfold, Diwali, Footsteps, Famine, Martial Arts, Military, Phantom, et plus encore …

Après des sorties un peu floues d’un premier album, la chanteuse connaissait sa première parution mondiale en 2011 avec l’album ‘Jamaicanization’, très bien accueilli par le public.
Depuis 2010, la Bad Gyal, à force de travail acharné et après plus de 10 ans de carrière, a gagné en reconnaissance sur son île et  a pu, finalement, réussir à trouver sa place sur la scène dancehall jamaïcaine.

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Si ces 3 drôles de dames étaient celles qui peuplaient le plus significativement la planète dancehall, il y en avait d’autres, bien sûr : on ne peut s’empêcher de penser à Lady G, excellente deejay qu’on retrouvait sur des riddims de ci-de là, rescapée des années 90 au cours desquelles elle avait quelque peu éclipsée par les succès évoqués plus haut ;  à Crissy D, du même crew que Lady G (on y reviendra, pas d’inquiétude) ; à la jolie Sasha, ses featurings avec Sean Paul et Turbulence et ses déboires avec ce dernier ;

On pense bien sûr aussi à Macka Diamond, pas née de la dernière pluie mais remarquée en 2003 avec ‘Tek Con’, sa réponse à ‘Tek Buddy’ de Vybz Kartel, ce qui lui aura finalement permis d’enregistrer un album, paru 2 ans plus tard, ‘Money-O’.

Il n’empêche qu’il était extrêmement difficile pour une artiste féminine de se faire connaître, et, encore pire, d’avoir une petite part du gâteau. Ne serait-ce qu’une petite miette. Ne serait-ce que lécher le sucre glace.

*** Raisons et déraison ***

Alors qu'on comptabilise une quantité impressionnante de stars internationales féminines dans tous les autres styles musicaux, les jamaïcaines peinent gravement à s’imposer à ce niveau.

Cela s'explique par plusieurs raisons, mais tout d'abord, il faut bien garder en tête le cadre dans lequel ces dames évoluent : le dancehall, une  musique qui elle-même peine à être reconnue et pour laquelle même du côté des garçons il est encore difficile de percer au niveau international.
Là, on reprend la liste de tous ceux qui ont tout de même réussi à crever les frontières, et on constate vite, très vite, qu'il n'y a pratiquement que des hommes. Tentative de réponse, en 5 points …

1. Machisme 

Avant de s’exporter, il faudrait déjà que les ladies arrivent à s’imposer sur leur propre territoire.
Elles dénoncent à l'unanimité une société très machiste. Quand on sait à quel point la musique jamaïcaine est le reflet de cette société, on se contente de hocher la tête en signe d'approbation.

2. « Americanization »

La tendance de beaucoup de jeunes jamaïcaines à beaucoup trop vouloir se rapprocher du style R'n'b américain aura largement réussi à certaines (Alaine, Brick and Lace, Tami Chynn …) tout en causant du tort aux autres : fossé musical trop creusé, sonorités du 'vrai' reggae-dancehall peu familières du grand public …

3. Circuit fermé 

Voilà comment se passait majoritairement les choses il y a encore quelques années : l’enregistrement et le travail avec certains producteurs ainsi que la diffusion des morceaux se gagnaient soit par les relations et le « copinage », soit par l’argent. Autant dire qu’avec ce système, les artistes féminines étaient complètement laissées pour compte, quasiment pas diffusées, et celles qui se sont aventurées à payer en nature n’y ont rien gagné.
Concernant la radio, c’était Payola-party : la plupart des Disc-Jokeys y trouvait un merveilleux moyen d’arrondir leur fin de mois en réclamant de l’argent à qui voulait être joué.

4. Slackness, Cher Slackness

Le besoin d’utiliser le sexe pour se faire remarquer a déjà été évoqué. Elles usent donc, comme leurs confrères, de paroles salaces agrémentées de détails plus ou moins crus selon l’artiste.
L’opinion publique ne l’entend pas toujours de cette oreille : les femmes n’ont pas à le faire, n’ont même pas à se le permettre, le slackness est une affaire d’hommes. Celles qui osent seraient apparemment des personnes vulgaires et écervelées, sans rien d’autre à exprimer. BALIVERNES !

Son usage aura servi d’étendard à l’égalité hommes-femmes dans le dancehall : les premiers passaient leur temps à évoquer leurs exploits sexuels, livrant de nombreux détails et usant de termes dégradants pour la femme.
Le sport de chambre nécessite deux parties, et les Lady Saw, Spice et consorts auront donné une voix au camp féminin, voix qui disait en gros : « Ce que vous cherchez, ce dont vous parlez à longueur de sons, c’est nous qui l’avons, alors ne faites pas trop les malins… » .


Spice

Et ça, ce n’était pas dégrader les femmes, mais bien au contraire leur dire de ne plus se laisser mépriser ou réduire à l’état d’objet sexuel, qu’ils ont besoin d’elles, qu’elles ont le pouvoir !

Cependant, il faut bien l’avouer, le slackness, ce n’est amusant qu’un temps.
Les autres sujets ont le plus souvent tourné en rond : les chansons racontant comment X compte piquer le mec de Y, ou à quel point Z est un c*nnard d’infidèle, peuvent être entraînantes et même hilarantes – elles sont douées ! – et le public féminin peut bien sûr y trouver son compte, mais il est important de ne pas s’y limiter.

5. Crêpage de chignons

L’union est censée faire la force. Chez les messieurs, cela se vérifie bien, il est plutôt rare de trouver un électron libre, tout le monde est plus ou moins affilié à un groupe, un crew, au sein duquel chacun attend sagement son heure de gloire.

Du côté des filles, c’est sensiblement différent. Vous avez toujours pu le remarquer d’ailleurs, depuis les bancs de l’école,  que les garçons s’entendaient mieux entre eux que les filles entre elles.

Notre théorie s’applique bien ici : les artistes féminines ont bien du mal à se structurer et à travailler ensemble et se jalousent énormément.
Les crews féminins sont très rares, et le plus prometteur d’entre eux, TNT aka Bada Bada Gals, qui réunissait Tifa, Timberlee et Nathalie Storm, s’est séparé après moins de deux ans d’existence, à cause des disputes fréquentes entre les deux premières ; Sans parler de la relation entre Tanya et Ce’cile, meilleures amies du monde au départ (leurs duos en témoignent encore), qui s’est complètement brisée pour des soucis de jalousie et d’égo.

                 
                  TNT

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En bonus, je partagerai avec vous une théorie que je trouvais au départ un peu fumeuse mais qui m’a beaucoup fait réfléchir. Quelqu’un ma dit un jour, alors que je l’avais lancé sur mon sujet préféré – celui sur lequel vous lisez courageusement ce dossier, merci d’être arrivé jusque là -, que même si le dancehall s’exposait mieux au niveau mondial, les femmes seraient toujours en difficulté.
En effet, pour le « grand public » tout repose sur l’image, et les stars internationales passent pratiquement plus de temps à travailler dessus qu’à faire de la musique et y mettent surtout des moyens financiers considérables pour accéder à leur statut d’icône absolue ; Les jamaïcaines mettraient du temps à pouvoir s’aligner …

*Si vous avez des avis à partager sur ce sujet, cela m’intéresse –interactive cette affaire, je vous l’avais bien dit.

*** Girl Power ***

Réjouissez-vous, tout n’est pas désespéré, bien au contraire !
Depuis 2007, on assiste à une véritable explosion du nombre d’artistes féminines - dont le nom est connu plus loin qu’au bout de leur rue, cela va de soi.

Qu’elles s’appellent Tiana, Timberlee, Stacious, Ikaya, Raine Seville, Keida, Denyque et j’en passe, la relève féminine est assurée en surnombre et chacune donne le meilleur d’elle-même pour faire avancer les choses.

Certaines sont même parvenues à s’élever bien au dessus du rang, comme Spice et Tifa, qui ont toutes les deux remporté plusieurs prix.

Spice, deejay furieuse et excentrique, réussissait à poser de temps en temps sur quelques riddims, mais personne ne lui avait prêté attention jusqu’au fameux ‘Nuh fight ova man’ sur le Eighty Five riddim en 2005. Depuis, elle a fait son chemin et connu bien des succès, dont, bien évidemment, ‘Ramping Shop’, son duo avec Vybz Kartel, devenu hit international.
Elle s’est imposée comme une artiste incontournable de la scène jamaïcaine et une véritable bête de scène, offrant à un public tout acquis à sa cause des prestations scéniques impressionnantes au cours desquelles elle part souvent en improvisations et clash délirants !

Tifa est la révélation féminine dancehall de ces dernières années. Elle pointait déjà le bout de son nez en 2006, notamment avec ‘Kitty Police’, et explose véritablement en 2008. Elle a plusieurs hits à son actif et  bénéficie d’une grande reconnaissance en Jamaïque.


Tifa

Si j’ai parlé précisément de l’année 2007 au début de cette partie, ce n’est pas juste par plaisir de dater au hasard pour faire stylé, mais car c’est bien cette année-là qu’un virage s’opère définitivement.

C’est le groupe Ward 21 que nous devons remercier.
Ils font enregistrer une jeune femme qu’ils viennent tout juste de prendre sous leur aile, Timberlee, sur une de leurs productions, le RAE riddim. Le résultat est sans appel : ‘Bubble Like soup’ devient un tube international.

Quelque mois plus tard, Ward 21 sort le premier riddim destiné uniquement à des femmes, le bien nommé Dem Gal Sitt’n, qui réunit entre autres Timberlee ainsi que leurs deux nouvelles protégées Tifa et Nathalie Storm, puis Stacious, D’angel, et les pionnières Ce’cile et Lady Saw. L’expérience sera rapidement réitérée avec le Estrogen riddim, sur lequel Tifa pose le hit qui la fera exploser, ‘Bottom of the Barrel’.

Des artistes et producteurs qui misent sur des filles, c’est bien ce qui manquait cruellement !
A quelques exceptions près, comme le Main Street Crew à l’époque, qui avait accueilli en son sein Lady G et Crissy D, ou Dave Kelly qui a rapidement misé sur Spice, tout le monde était un peu frileux.

La tendance s’est ainsi inversée, grâce en grande partie à Ward 21 mais aussi, peut-être -j’espère- à une évolution des mentalités.

Les crews ou les prod’ actuels ne manquent plus de s’adjoindre les services d’artistes féminines, comme par exemple Bridgez dans l’Alliance – qui s’est même payé le luxe de les quitter le mois dernier ! , ou Raine Seville, qui est la ‘Daseca First Lady’.

* Non, je n’ai pas oublié les Gaza Girls, mais je n’aime pas les contre-exemples …

Pour les riddims 100% girly, ça continue aussi, avec le Bedroom riddim de chez PayDay Music en 2011, où l’on découvrait encore de nouvelles artistes comme Kym Hamilton ou Nefatari, autant de noms qui s’ajoutent à notre liste.


Bedroom Riddim

Enfin, l’engouement important pour la counteraction – counter pour les intimes, chanson-réponse pour les non-initiés – est aussi à relever. Les réponses des filles aux mecs sont à tous les coups un succès.
Quelques exemples ?
‘Only girl him want’ de Tiana en réponse au hit de Popcaan, ‘Daggering’, counter du ‘Hundred Stab’ de Aidonia par  Spice, et surtout, plus ancien mais juste mythique et très significatif, Lady Saw qui répond au ‘It wasn’t me’ de Shaggy par un tonitruant ‘Son of A Bitch’ qui deviendra un énorme hit.

Cet engouement est encore une preuve de la nécessité d’avoir une voix qui parle pour les femmes, qui les défend et leur offre un véritable droit de réponse.

Les femmes sont donc mieux représentées, mieux acceptées, et il est beaucoup plus facile de percer.
Elles ont également gagné le respect et la considération du public et surtout de leurs pairs masculins.

Quand je vois par exemple Aidonia plaisantant avec Spice dés son arrivée dans le bus les conduisant au Sumfest, à répéter  « Big up Spice ! » et à lui chantonner ‘Jim Screechie’ – au passage chanson qu’il fait souvent chanter à son public féminin lors de ses propres concerts - , et bien c’est peut-être bête, mais ça me fait chaud au cœur !!!

On peut toujours chipoter, et dans ce cas-là, il y a une dernière petite chose qui cloche …

*** La dernière pièce du puzzle ***

Notre puzzle  - qu’on aura intitulé sans grande inspiration ‘Femmes dans le reggae-dancehall’ - est éclaté.
Oui, nous sommes partis d’un point, les premières princesses et reines du reggae, pour arriver à un autre, les chanteuses et deejays sexys et agitées du dancehall.

C’est un cheminement qui peut ne pas vous sembler logique, et vous avez tout à fait raison. Un maillon manque bien sur cette chaîne. Non, les femmes n’ont pas abandonné le reggae et ses premières valeurs.

L’exemple de Tanya Stephens a déjà été donné, et il ne faut pas oublier non plus la belle Diana Rutherford, qui n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler un peu Tanya, et qui a sorti son premier album, ‘Ghetto princess’, en 2011.


Diana Rutherford

J’appelle également pour vous en convaincre deux autres des chanteuses qui ont choisi de suivre uniquement le chemin du reggae, de la spiritualité, de la positivité, et qui ne tremperaient pas un seul orteil dans la vulgarité ou le slackness, préférant utiliser leur musique pour faire passer des messages :

Queen Ifrica, redoutable Deejay doublée d’une chanteuse irréprochable, est une incroyable petite boule d’énergie, qui met le feu sur toutes les scènes où elle passe. On ne la présente même plus.


Queen Ifrica

La chanteuse Etana, qui a tout d’abord débuté dans un groupe de 4 jeunes femmes baptisé Gift qu’elle a quitté à la suite d'une grosse prise de conscience lors d’un shooting vidéo en petite tenue : ce n’était définitivement pas pour elle. Avec sa voix magnifique et son classement régulier en haut des charts, elle s’est imposée comme une artiste new-roots incontournable.

                  
                   Etana

Je tiens également à citer la très talentueuse et efficace Queen Omega, ainsi qu’une artiste de l’île de Sainte-Croix qui mérite beaucoup plus de reconnaissance, Dezarie.

Pour revenir au dancehall, on note un retour vers des sujets plus constructifs.

Les pionnières Ce’Cile et Lady Saw montrent une évolution claire.
La première fait beaucoup plus de new-roots depuis 2 ans, et certains morceaux comme  ‘Gwaan live life’ ou ‘Rise Up’  sont bien loin de ses premiers thèmes de prédilection.
La deuxième fait part de son désir d’évoluer et de produire une musique moins agressive, plus douce, plus mature et réfléchie, et nous avons déjà pu en avoir un aperçu avec l’excellent titre ‘I’m a woman’ sur son dernier album.

La boucle est donc en passe d’être bouclée, et notre puzzle complété.

Ayant assez (qui a dit ‘trop’ ? pas sympa ça !) débattu sur le sujet, cette conclusion sera simplement dédiée à toutes les femmes qui œuvrent pour le reggae-dancehall et sa promotion : toutes les artistes bien sûr, mais aussi les selectas, les manageuses, les organisatrices d’évènements, les médias, les journalistes, les photographes, et j’en oublie … Bravo les filles !

Par Texte: Nounours; Photos: Officielles,Semayat, Jérôme Baudin
Commentaires (3)
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Par WhatChaSays le 08/03/2012 à 13:03
Super intéressant, je regrète pas les 4 jours de lecture (ooooh j'rigoleuuuuuh) J'suis contente qu'il soit sorti, bon boulot !
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Par jah le 19/06/2012 à 11:45
Très bon article!! Parlons maintenant des artistes féminines française!!
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Par Chaz le 06/04/2013 à 18:15
Très intéressant. Un grand merci à la hauteur de ce grand article :)

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