Ishmel McAnuff climbs inna de tree
interview Roots 13

Ishmel McAnuff climbs inna de tree

Ishmel McAnuff est actuellement en France. Après une prestation mémorable avec Blues Party à Dunkerque au Kilimandjaro le 9 novembre dernier, et son passage sur la radio Party Time, il est parti en tournée avec Monkey Tree dans le sud-ouest de la France, dans le cadre du "Climb inna de Tree Tour". Occasion pour reggae.fr de s'entretenir avec cet artiste issu d'une grande famille musicale … Big Up au passage à Alex des Monkey Tree pour sa force et son partage.

Reggae.fr: Avant toute chose, nous te présentons nos condoléances ainsi qu’à ta famille pou la disparition de ton frère Matthew. Souhaites-tu dire quelque chose en sa mémoire ?
Ishmel McAnuff : J'aimerais tout d'abord faire taire toutes les rumeurs et laver le nom de mon frère Matthew Mcannuf, car depuis la Jamaïque j'ai entendu trop de choses négatives et il est temps de rétablir la vérité. Matthew était un homme doté d’une grandeur d’âme, il mettait beaucoup d'amour à faire de la musique, était sensible et concerné par les personnes malades, les orphelins et les pauvres. Personne ne savait que Matthew avait une lésion cérébrale, ce qui explique son comportement étrange parfois. C’est à cause de cette maladie qu'il s’est une fois de plus, disputé avec sa copine le jour de sa mort. Il est sorti dans la rue à 6 heures du matin en hurlant qu’il cherchait de l’herbe, car il n’y avait que ça pour le calmer. Des gens ont commencé à lui dire que ça ne se faisait pas de crier ces choses-là dans la rue. Il s’est énervé et en est venu aux mains. Un attroupement s’est formé et on a commencé à dire que Matthew était un indic de la police. Pour cette raison, 13 personnes ont violemment frappé et assené des coups de couteaux à Matthew. La police l’a laissé pour mort devant chez lui. Il a été transporté à l’hôpital trop tard C'est comme si tout le monde s’était ligué contre mon frère, le coup de crier « aux flics » est classique en Jamaïque lorsqu’on veut que la foule se mêle à une altercation pour nuire. Personne n'aime les poulets. Mais tout le monde connaissait Matthew et savait que c’était un artiste. Malheureusement on disait pourtant du mal de lui à cause de ses manières et de son comportement dus à sa maladie. Certaines personnes malintentionnées ne s’intéressaient qu'à son argent. C'est pour ça que personne, à part la famille, ne comprenait ce que Matthew endurait. Même nous, étions aveugles parfois. Je crois que Matthew ne comprenait pas non plus son état et n’arrivait pas à sortir de cette situation. Sans l'aide de notre famille et de personnes proches Matthew n’aurait pas pu être enterré. Je tiens à remercier toutes ces personnes qui se reconnaitront, pour leur soutien matériel et leurs gestes d’amour. Mais « Jah lives » et Matthew est toujours parmi nous. Je suis là pour éclaircir l'ombre qui plane sur son nom. Je ne suis pas là pour me battre car Jah mène la bataille pour nous.

Tu es actuellement en France pour une tournée. Comment se passe ton séjour ?
C'est la seconde fois que je viens en France. La première c'était il y a sept ans, en 2005 et je faisais la première partie de Prince Alla à Paris à la Guinguette Pirate backé par un sound system. J'étais resté essentiellement à Paris, mais cette fois, j’ai muri et je reviens avec l’envie d'exprimer tout mon potentiel artistique. J'aime toutes les régions en France, même si je n'en ai vu que très peu encore. J'ai atterri à Carcassonne et je dois dire que dans le sud-ouest, où je suis en ce moment, je sens quelque chose de très spirituel. C'est l'endroit rêvé pour méditer et pour débuter une révolution musicale. Je me sens bien en côtoyant des gens qui font pousser leur nourriture car ce sont des gens proches de leur terre tout comme mes frères Jamaïcains. De plus les Français connaissent et pratiquent la musique, ils sont « musicalement » cultivés et savent de quoi on parle, on ne peut pas les berner. Sur scène, il faut donc proposer un vrai spectacle en plus d'un concert, car le public français aime aussi comprendre par les gestes ou l’émotion, à défaut parfois de comprendre le Patois jamaïcain, langue dans laquelle je chante. Ils veulent du show et je sens qu’ici avec le public, je vais pouvoir apprendre et grandir encore comme mon père a su le faire. Un grand merci également à Reggae.fr, Party Time, Blues Party Sound, MonkeyTree, Banana Music Prod et Sweet pour leur soutien et leur professionnalisme.

Comment as-tu rencontré les personnes avec qui tu travailles en France, comme MonkeyTree et Blues Party ?
Tout d'abord je tiens à démentir une rumeur qui circule à propos de ce projet lancé par Banana Music Prod avec le groupe MonkeyTree : le projet a vu le jour au mois de mai 2012, avant que Matthew ne monte à Zion. Alors à tous ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent, ils feraient mieux de ne rien dire. Banana Music Prod avait entendu parler de moi par le biais de MonkeyTree qui avait rencontré mon père Winston McAnuff, lors d'une première partie à Castres en juin 2011. Quand ils m’ont contacté, on a tout de suite commencé à élaborer cette tournée « Climb inna de Tree » qui veut dire « Grimpe dans l'Arbre ». Je n'en savais rien, mais au fond de moi c'était un appel. Ma mère m'a même dit, peu de temps avant que je parte, qu'il fallait que je "monte sur le dos d'un singe pour aller plus haut" - c'est une expression jamaïcaine - alors qu'elle ne savait rien de cette tournée avec MonkeyTree. C'est une véritable histoire que je vis et je remercie encore Jah. C'est ma foi, l'univers de ces singes et l'amour de Banana Music Prod qui m’ont permis de quitter la Jamaïque peu de temps après le décès de Matthew… Il fallait que je sois fort pour continuer. Pour Blues Party Sound, le lien s'est fait par mon père qui connaît très bien Judah. J'ai fortement apprécié le travail avec eux le week-end du 9 novembre au Kilimandjaro à Dunkerque. Ce sont des gens vrais dans ce système.

Comment es-tu accueilli par le public français ?
Apparemment ils adorent mon travail. Ils savent que je ne fais pas que chanter mais que je délivre aussi un message. Je me sens aussi Français que Jamaïcain. Ce sont les miens, les Yardies qui ont tué mon frère. Et en voyant comment je suis accueilli, j'aurais tellement aimé partager ce moment avec Matthew ! Maintenant, le public m'attend au tournant et je démarre comme mon père il y a 25 ans, avec un band et pas n’importe lequel ! Tous veulent savoir si c'est la petite route de campagne que j'emprunte ou la voie rapide.

Comment définirais-tu ta musique pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je fais du pur roots rock reggae. C’est tout. Pas trop de dancehall.

Quels artistes sont tes principales influences ?
Dennis Brown, Peter Tosh, Bob Marley et Winston McAnuff.

Tu sais à quel point ton père est respecté en France...
Et il le mérite ! Mon père est un très grand homme. Il fait partie des fondations de la musique reggae depuis 25 ans. Il a travaillé dur pour se faire un nom et c'est grâce à Horace Andy, qui lui a demandé de faire ses premières parties en France, qu'il s’est fait connaître. C'est même lui le pionnier de Inna de Yard, car il avait enregistré un album acoustique avec Tribute de Own Mission en France. Ce n'est qu'après que Chinna et Cedric Congo ont lancé le projet. C'est même lui qui a repris le riddim de « Be Careful » avec les Roots Radics pour sa version studio. Il a lancé une grosse révolution à travers Makasound. Mon père mélange les styles comme avec Java et BazBaz. C'est un réel pionnier. Winston McAnuff est énorme et je le respecte beaucoup ! Il a réussi à faire fermer une compagnie de disques en Jamaïque qui avait copié son album. Il connaît les ficelles du métier et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Big big man !

Ton père est-il de bon conseil pour toi en ce qui concerne la musique ?
Bien sûr. Mon père reste la référence en matière de conseils. Peu de personnes ont autant de bagages de nos jours. Il m'a toujours dit de rester humble dans ce business, sans ignorance, et de ne jamais arrêter d'écrire de bonnes paroles pour être toujours prêt à enregistrer. On ne peut pas écrire tout au dernier moment et on ne sait jamais quand on va nous proposer d’enregistrer. Il m’a aussi fait travailler la justesse et le rythme. Mais j’ai pu apprendre des choses avec ma propre expérience et en rencontrant d’autres artistes aussi.

Tu fais partie d’une vraie famille musicale avec ton père, tes frères et même ton oncle...
La musique est quelque chose d'important dans ma famille et je les remercie tous d'avoir cru en moi, même si certains n'aimaient pas ce que je faisais. Entre frères, nous nous soutenons énormément. J'étais là lors du travail sur le « Be Careful Riddim » avec Matthew. Il a sa version, mais j’en ai une moi aussi, elle s'appelle « The System ».

Tu as partagé la scène avec Dennis Brown en Jamaïque en 1996. Peux-tu nous parler de cette expérience et de tes souvenirs de Dennis ?
Je ne connaissais pas Dennis personnellement. Mais il m’a dit une phrase qui m'a beaucoup touchée. J'étais dans le jardin, je n'avais que 9 ans et il m’a dit : « Hey toi, jeune ! Qu'est ce que tu fais ici ? » Je lui ai dit que je faisais sa première partie et que j'étais Ishmel McAnuff. Il m'a répondu que j'étais un Roi avant d'être né. Je n’oublierais jamais ça.

Y a-t-il un artiste avec qui tu aimerais partager une scène aujourd’hui ?
Oui, mon père Winston McAnuff.

Durant ton séjour en France, tu enregistres quelques dubplates ?
Oui. J'ai fait des plates pour Blues Party, Partytime et Tomatic Graphic Design. J’en ai fait aussi pour quelques selectors suisses, car je fais une tournée là-bas à partir du 17 décembre.

Si tu étais selector et que tu ne devais jouer que 3 tunes, lesquels choisirais-tu ?
Garnett Silk : « What Is The Difference ». Bob Marley : « Three Little Birds ». Winston McAnuff : « What A Man Sow ».

Quels sont tes autres projets en cours ?
Sortir les chansons cachées sous le lit et travailler avec de vraies personnes (rires). Sinon, j’ai le projet de sortir le single « The System » sur le riddim « Be Careful », et je prépare une surprise pour l’année qui arrive, mais pour l'instant rien n'est fait alors je préfère rester discret. Et si Jah le veut, on fera le « Climb Inna De Tree Tour » dans toute l’Europe à partir de mai 2013 avec le MonkeyTree et toujours Banana Music Prod.

Par Djul avec Alex
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