Quand Génération H évoque le reggae
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Quand Génération H évoque le reggae

Les Editions La Lune sur le Toit ont sorti le second roman d'Alexandre Grondeau le 1er février dernier. Intitulé «  Génération H  », c'est un roman décalé qui relate l'histoire d'une petite bande d'adolescents qui part sur la route, un été au milieu des années 90, explorer toutes les facettes d’un nouveau style de vie alternatif qui s’offre à elle dans un road trip haschisché et musical. Allant de festivals underground en free parties, de sound systems en soirées improbables pour bons beaufs de base, ils parcourent une France enfumée traversée par un vent de liberté qui balaie tout sur son passage.
 En stop ou à pied, portés par le son des nouvelles musiques urbaines qui explosent (hip-hop, techno, ragga dancehall…), ils font les quatre cents coups, enchaînent les rencontres inattendues, les expériences mystiques et amoureuses, découvrent les joies de la vie de nomade, surmontent mille et une galères, en usant et abusant des spécialités cannabiques locales. 
Guidés par leur soif de vivre à cent à l’heure, et grâce à leur amitié indéfectible, ils brûlent leur jeunesse comme un spliff de weed et écrivent l’histoire d’une nouvelle France où la consommation de haschisch et d’herbe se généralise et s'intègre totalement à sa culture.


Avant de vous proposer un dossier complet sur l'ouvrage réalisé par David Vinson, reggae.fr souhaite vous faire part d'un extrait du livre évoquant notre musique préférée  !

Extrait de «  Génération H  », Alexandre Grondeau, La Lune sur le Toit, page 141 et suivantes
Plus d'extraits en libre téléchargement sur www.generation-h.fr


«  Bercé par la voix de Garnett Silk, j’entrais en connexion avec le cosmos. C’était fort. L’archange du reggae emplissait les murs de la maison et mon corps tout entier.
En haut, JD montait le son. Les infrabasses faisaient trembler légèrement les vitres. Les voisins et le monde extérieur étaient prévenus : le deejay était au contrôle, sûr de sa force et de sa mission : nous éveiller, nous amener à la transe, à la méditation.
« Reggae music is the rule ! »
Pourquoi aimais-je tant cette musique ? Il n’est pas facile d’analyser un sentiment ni de décrire les contours d’une émotion. Le reggae me prenait aux tripes, je ressentais sa rythmique, ses lignes de basses au plus profond de mon âme. Mais plus qu’un sentiment, le reggae portait un message universel et entraînant qui me plaisait, remplissait de passion, me transformait en ardent militant de sa cause perdue.
Cette musique était révolutionnaire, positive et consciente. C’était le moyen d’expression d’un peuple opprimé depuis des siècles, d’abord déporté depuis les terres d’Afrique pour cultiver le Nouveau Monde, ensuite cantonné dans la misère et la violence des faubourgs de Kingston. Le reggae était le seul moyen de révolte non violente des damnés de la terre, ceux qui n’avaient plus rien à perdre, mais qui conservaient un certain détachement vis-à-vis des injustices et une classe indéniable pour porter des messages insurrectionnels. Musique rebelle aux mélodies acérées et déchirantes, aux rythmiques syncopées et radicales, le reggae élevait les âmes des poètes et les consciences populaires. Voilà peut-être pourquoi en France personne ne s’intéressait au renouveau du style et à la génération montante en train de révolutionner la musique jamaïcaine, vingt ans après Peter Tosh, Bunny Wailer et Bob Marley.  »
— Ils ne passent pas notre musique à la radio ni à la télévision parce qu’ils ont peur de son effet sur les masses, nous avait expliqué Greg la veille, certain d’une censure dirigée contre sa musique favorite.
— Et quand le public peut identifier un message révolutionnaire, ils s’arrangent pour le travestir. Ils l’ont déjà fait il y a quinze ans et ils le feront de nouveau pour ralentir sa diffusion.
JD faisait référence à l’album de Bob Marley Burnin’, véritable appel au soulèvement populaire et légitimant l’utilisation de la violence pour l’émancipation des peuples. Quand l’album était sorti, en 1973, le producteur Chris Blackwell avait ôté le Lootin’ qui figurait dans le morceau ayant donné son titre à l’album, initialement Burnin’ & Lootin’, en conservant seulement le mot Burnin’ sur la pochette, et y avait ajouté la tête de Marley fumant un gros joint. Où comment faire d’un leader politique un pauvre petit musicien noir fumeur de joint cool et gentil, un argument de vente pour babas cool tiers-mondistes en mal de sensations fortes. Pour JD, cette anecdote résumait bien la tentative de récupération et de déformation dont était victime le reggae.
— À quoi sert de financer des gens qui luttent contre le système alors que tu peux éduquer les foules avec de la merde en barre comme la dance ou les boys bands ?
Il fallait bien reconnaître la force de l’argument. L’homme préfère souvent la facilité, en musique comme dans le reste. Pas de reggae dans la presse, pas de reggae à la radio ni à la télévision. La musique jamaïcaine restait dans son ghetto culturel et ne se diffusait que grâce à la bonne volonté de militants comme mes cousins, prêts à tout pour jouer un vinyle de Xterminator ou de Penthouse, les deux labels à la pointe du renouveau du reggae : le new roots.
Il y avait de quoi surprendre plus d’un mélomane averti tant l’explosion de ce nouveau son venu de Jamaïque se diffusait à vitesse grand V sur la planète dans les milieux underground. On se passait des K7 pirates des envolées vocales de Sizzla, des enregistrements live volés de la voix brute et rocailleuse de Buju Banton. On attendait avec impatience les prochaines paroles sans concession d’Anthony B ou les nouvelles mélodies chaudes et suaves de Luciano. La nouvelle génération rasta possédait même déjà son premier martyr en la personne de Garnett Silk, l’artiste qui avait réintroduit le roots et son message culturel, rebelle et positif, dans les ghettos de Kingtson, alors que depuis le début des années 80 le reggae y avait été remplacé par un son digital aux paroles vulgaires et violentes. Mort, tué dans l’incendie de sa maison en voulant sauver sa mère des flammes, il avait montré la voix royale au renouveau d’une musique universelle et à ses soldats chanteurs. Depuis sa mort, chaque jour, de nouveaux artistes se convertissaient au new roots, tous plus talentueux les uns que les autres et prêts à faire rayonner la Jamaïque comme le nouveau centre du monde libre et musical.
Le reggae était en effet en pleine effervescence, comme à la fin des années 60, et les presses vinyles de Kingston marchaient à plein régime. Pourquoi donc ce silence médiatique, cette absence de couverture des grands organes de presse, toujours prompts à nous vanter la sortie du énième groupe de rock, ersatz des Stones ou des Beatles ?
— En même temps, si tu regardes bien, les autres styles de musique de jeunes restent également confidentiels, avais-je remarqué. La techno n’a pas non plus de couverture médiatique, sauf pour dire que c’est une musique de drogués. Le rap reste une « musique de sauvage, de pauvres banlieusards ne maîtrisant pas les rudiments de la langue française ». Dès qu’il s’agit de musique de jeunes, c’est comme si elle n’existait pas ou ne méritait pas d’être analysée comme un courant musical émergent digne de ce nom.
— Ouais, mais le rap a sa radio, lui, nous on a que dalle !
JD avait raison, pas de pitié pour la musique jamaïcaine. Encore moins que pour les autres.
— Et si tu regardes bien, la musique classique a au moins deux radios nationales, le jazz en a le même nombre… Tu ne vas pas me dire qu’il n’y a pas en France plus de monde qui kiffe Bob Marley que Chopin ?
— C’est vrai.
— Bien sûr que c’est vrai. Et la raison de tout ce merdier est simple. Personne dans cette société ne veut reconnaître que quelque chose est en train de se passer. Tout est en train de changer. La techno, le rap, le new roots sont en train d’apporter un énorme souffle d’air frais dans la musique et la culture mondiales, mais les gars au pouvoir s’en foutent. Ils ne veulent pas voir ça !
— Pourquoi ?
— Tout simplement parce que ceux qui contrôlent la presse n’ont de cesse de se mettre en avant. Ils ne se remettent pas d’avoir raté leur révolution en 68, et accepteraient tout sauf que le vent de la nouveauté soit apporté par d’autres qu’eux.
C’est vrai qu’à écouter les médias culturels, on avait l’impression que la musique tournait en rond depuis les Floyd et les Sex Pistols. Pourtant, Africa Bambaataa, Grandmaster Flash, Carl Cox, Jeff Mills, Fatiss Burell, Donovan Germain et tant d’autres insufflaient une énergie radicale dans la musique actuelle. Ils restaient inaccessibles au grand public pour le moment, faute de posséder des relais médiatiques assez puissants. Nos élites culturelles refusaient de voir la vérité en face : la révolution musicale est en marche. Elles préféraient l’ignorer.
— Ils jettent le bébé à la mer après l’avoir noyé. Ils accepteront tout sauf qu’on prenne leur place, s’était enflammé Greg.
Mon cousin était sacrément remonté contre la génération de nos parents. Je n’avais pas forcément les arguments pour le contredire, et son discours était séduisant, même si imaginer un complot d’une génération pour conserver le pouvoir en sacrifiant celle de ses enfants paraissait un peu grossier. Johan n’était pas convaincu non plus.
— Mais quel intérêt auraient-ils à nous censurer ainsi, ou à faire passer les arts émergents comme le rap ou le reggae pour des mouvements mineurs ?
— Qu’est-ce que j’en sais, moi, je ne suis pas dans leur tête. Ils sont trop bien dans leur petit confort intellectuel et ne souhaitent qu’une chose : que rien ne change.
Il n’était guère évident en fait de comprendre les mécanismes de rétention d’information ou de direction artistique de telle ou telle radio. On n’y connaissait rien du tout et on aurait pu établir les plus belles théories possible, il nous manquait une chose importante : la connaissance de ce milieu. Peu importait, après tout, nous étions les détenteurs d’un savoir qui allait exploser à la face du monde entier. Mieux, mes cousins en étaient les premiers messagers et cette mission suffisait à occuper leur vie, à les passionner, à les faire se lever le matin, heureux des tâches à accomplir et certains de leur bon droit.

Par Alexandre Grondeau - La Lune sur le Toit
Commentaires (5)
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Par Sweet_rasta le 07/03/2013 à 09:13
Cool le texte, ca donne envie de le lire les gars ca s'achète ou ?
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Par Lena Staff Reggae.fr le 07/03/2013 à 09:44
Dans toutes les librairies et également sur http://www.generation-h.fr
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Par Ganjastar le 11/03/2013 à 15:24
ca a bien l'air mortel... qqun l'a déjà lu ?
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Par gizem le 12/03/2013 à 12:10
plein de monde ! tu peux lire les avis de lecteur sur le site http://www.generation-h.fr/
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Par okapi le 14/03/2013 à 11:28
extraits simpa, on a envie d'écouter ts les titres !!! big up

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