La violence est dans l'annuaire
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La violence est dans l'annuaire

Compulser, à ses heures perdues, l'épais volume des pages jaunes de la capitale Kingston est riche d'enseignements. On y lit, en filigrane, beaucoup de choses sur la société jamaïquaine: de son identité tiraillée entre cet insatiable appétit d'Amérique qui transpire partout, et une volonté permanente de s'affirmer comme unique et originale malgré tout; de cette frénésie de consommer et de paraître qui, au travers du prisme d’une publicité qui ne s’embarrasse ni de subtilité ni de suggestion, paraît encore plus forte ici qu’ailleurs.

Mais ce que dit aussi le Business telephone directory, c’est la violence intrinsèque, profonde, quasi constitutive de cette société. Ici, l’insécurité n’est pas un thème fluctuant au gré des agendas politiques et des besoins de faire diversion. C’est un élément central, permanent, qui prend des formes diverses selon les échelons de la société et les quartiers de la ville.

L’ouvrage compte vingt-trois pages consacrées à des sociétés de sécurité. Vingt-trois pages de publicités qui évoquent la guerre. Des hommes en uniforme kaki, alignés bras croisés sur le torse, adressant à l’objectif des regards de mercenaires. Des fourgons blindés semblant surgir de Mad Max, des chiens géants prêts à bondir, tous crocs dehors. Des fusils à pompe, la gueule béante, des M 16 dans les logos et des pistolets à la ceinture. Des noms évocateurs: Guardsman, Knightsman, Wolfguard, Hawkeye, Watchdem, Protection & Securtity, Jamaica Protective Services, Ranger, Allied Protection, Bunker, Border Patrol, Crime Alert High-Tech,… La liste est longue.

Plus révélateur encore peut-être de l’état d’esprit des élites sociales de cette île, la section des "fences". Cinq pages de grillages en tout genre, pour s’enfermer, se barricader, se protéger. Des barbelés, des razor wires, dont les lames de rasoir remplacent les piquants, de lourds portails électriques. Avec une nouveauté fièrement promue: les razor spikes, de longues dents acérées surgissant des murs comme autant de hallebardes. De ces simples photos en noir et blanc surgit une violence aussi crue que le sang frais qui scintille plus souvent qu’à son tour en une des quotidiens de l’île.

Mais le plus frappant de tout, pour le regard d’un étranger ayant le privilège de vivre dans une société qui ne vit pas – encore ? – dans cette peur permanente de voir ses privilèges convoités avec violence par les laissés-pour-compte de son fonctionnement injuste et bancal, ce sont de tous petits messages, glissés çà et là, entre deux annonces. Comme des appels désespérés, derniers recours dérisoires face aux cinq homicides quotidiens de ce territoire grand comme un quart de la Suisse.

Help fight crime. Do it for Jamaica.

Retrouvez cet article sur le blog de Soul of Anbessa, que l'on remercie pour sa courtoisie:
http://www.soulofanbessa.com/billet/20121227/50/la-violence-est-dans-l-annuaire

Par Texte et photo: Marc Ismail (Soul of Anbessa)
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