MFJ #2 : Alkaline ou le sexe à piles
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MFJ #2 : Alkaline ou le sexe à piles

Après la douceur de Tessanne Chin pour le premier article de cette rubrique "Mood For Jamaica", je vous emmène cette fois à la rencontre d’un personnage beaucoup moins glamour - quoique, question de point de vue : Alkaline.

C'est marrant, la vie. Il y a un an, personne ne te connaît, et aujourd'hui tu es en tournée européenne, en ce moment même en France pour des showcases, puisque un ou deux de tes hits ont su attirer l’attention du public de boîte de nuit, alors que des artistes établis depuis des années galèrent...  Si vous vous demandez d’où est-ce que ce mec sort et comment fait-on pour rencontrer le succès aussi rapidement, cet article est fait pour vous. Approche pratique…

1. TÂTER LE TERRAIN

A tout juste 20 ans, Alkaline a été la révélation dancehall de l’année 2013, avec une poignée de sons devenus de véritables hits. En Jamaïque l'hiver dernier, j’ai été surprise d’entendre Alkaline en boucle pendant trois semaines dans toutes les soirées, mais j'étais encore loin de m'imaginer que j'avais affaire à la nouvelle idole des jeunes femmes.

De son vrai nom Earlan Barthley, Alkaline enregistre des sons et produit même certains d'entre eux depuis l'âge de 16 ans. Rien à signaler, une bonne énergie, quelques bonnes punchlines, un petit artiste parmi tant d’autres, faisant de la musique avec l’espoir de percer un jour. S’il se fait remarquer avec « Jus Wah Do Music », on est encore à mille lieues du succès. Pour le côté spécialisé - et surtout pour le délire- remémorons-nous l'Alkaline d'alors en images et en musique :



L'ami Alkaline, qui a fait des études supérieures en communication, l’a bien compris : le talent -qu'il possède quand même, on ne va pas tout lui enlever dans cet article - ne suffit pas, pour percer il faut se démarquer, choquer. Ça tombe bien, il sait faire, on l’appelle "Problem Child" pour sa faculté innée à provoquer.

2. ENTRER PAR LA GRANDE PORTE

Alkaline aura une tête de grenouille probablement toute sa vie, mais il a atteint son but : celui qui s’annonce comme le “Youngest” et “Baddest” est devenu en à peine un an le jeune artiste dancehall le plus en vogue en Jamaïque.

En mars 2013, Alkaline frappe un grand coup et se tatoue les globes oculaires, les photos font le tour du web et on ne parle que de ça pendant des mois. Alkaline ne s’en cache pas et déclare clairement qu’il a fait ça pour le buzz : « Pourquoi pas ? Beaucoup de gens ne me connaissaient pas avant ce tatouage, je prouve que ce n’est pas seulement le talent qui amène au succès ».





Cette histoire suscite en tout cas l’intérêt autour de l’artiste, qui en profite pour sortir une floppée de titres, dont plusieurs deviennent des gros hits comme "Gyal Bruk Out", "123" ou "Things Mi Love"...

"Come over Baby, look inna mi eyes", flippant... Et pourtant, avec son image provocatrice et un côté volontairement énigmatique (voire franchement louche), Alkaline intrigue et séduit ... surtout les filles.

3. VISER LE PUBLIC FEMININ

Alkaline n’est pas là pour faire dans la dentelle. Rien de bien surprenant pour du dancehall me direz-vous, sauf que ce jeune homme va plus loin en décidant de se faire le porte-parole de la libération sexuelle dans un pays où certaines pratiques sont taboues et très mal vues. Conscient que le soutien de ses pairs masculins sera difficile à obtenir, il mise tout sur le public féminin, et ça marche. La machine du dévergondage est lancée comme il l'annonce aux jeunes filles dans "Gyal Bruk Out" :

"Tonight every gal ah turn ah devil
 Turn ah heathen mi still love yuh
 Decent gyal Alkaline change yuh"



Les jamaïcaines sont folles de lui : certaines se font la guerre sur les réseaux sociaux pour déterminer qui est sa femme, pendant que les apparitions de l'artiste en rendent d'autres hystériques, à l’image de cette jeune fille qui est montée sur scène en plein concert pour simuler une fellation sur Alkaline. Charmant.

Pourtant côté sex-appeal au départ ce n'était franchement pas gagné pour lui, on appelera ça le sexe à piles (level zéro du jeu de mots, mais il me fallait bien un titre).

4. ENTRETENIR LE BUZZ

Une fois qu'on a le buzz, il faut le conserver. Alkaline compare, à juste titre, le dancehall à du fast-food : tout se consomme rapidement, tout va très vite. Il est donc important de stimuler l’intérêt des gens en permanence. A ce jeu-là, l’artiste est dans la surenchère et ne s’impose pas de limites. Son tatouage « R.I.P Giving A Fuck » en témoigne : il n'en a plus rien à foutre, ce qu’il veut, c’est qu’on parle de lui.



Il alimente donc régulièrement les débats, que ce soit pour son prétendu penchant démoniaque, pour sa BMW noir et rose, pour une photo tendancieuse de lui entouré de jeunes femmes et un godemiché (à piles ou pas, on ne sait pas)… 
Il s’improvise également maya – nous vivons dans un monde où il faut être polyvalent voyez-vous- avec son insistance sur l’année 2016, où il devrait se passer de grandes choses, nous dit-il sans plus de détails.

Le plus gros scandale a été récolté par le titre "Fuck You", dans lequel Alkaline invite ni plus ni moins à la pratique de l’anulingus. Les paroles déchainent la colère des fans et des artistes, dont I-Wayne et Lady Saw, qui citent tous les deux Kartel, soulignant qu’Alkaline cherche à être comme lui voir à aller plus loin. Et ils ont raison. Cette stratégie de buzz continu constituée de dérapages en tout genre n’est pas sans rappeler le parcours de Vybz Kartel.

Une autre des polémiques entourant Alkaline est d’ailleurs qu’il s’inspire très fortement de Kartel et cherche à le copier. Si le concerné nie en bloc – il ne risquait pas de dire « si, si les gars, c’est vrai, je pompe sur Kartel à mort » - et évite soigneusement de citer Vybz Kartel parmi ses influences,  il est assez évident qu’il fait plus que s’en inspirer : de sa façon de poser sur les riddims à sa gestuelle en passant par les provocations diverses, Alkaline a trouvé la brèche dans laquelle s’engouffrer et tente à sa façon de pallier à l’absence de Kartel dans l’inconscient des jeunes jamaïcaines. Le classique "avoir été au bon endroit au bon moment" est une des clés de son succès.

5. Ne pas oublier de chanter, aussi.

Alkaline passe donc une partie de son temps à faire le guignol, mais il chante aussi. Sa mixtape « Problem Child » sortie à la fin de l’année 2013 représente bien son travail avec un concentré de tous ses titres et hits, produit par la crème des labels dancehall actuels comme Notnice Records, Armz House Records, et UIM pour ne citer qu’eux.

Il a commencé l’année 2014 avec une série de concerts organisés par son management « à la demande générale » paraît-il. Le chemin qui mène au statut de bête de scène sera encore long (si jamais il le trouvait), mais les fans sont ravis. Il s’est ensuite séparé de son management Cahban Records chez qui il était signé et à qui il doit entre autres "Church Folks". A ce sujet, il déclare que « toute loyauté a une date d’expiration » et accuse son ancienne équipe de ne pas être transparente sur les questions d’argent.



Alkaline continue donc sa route en indépendant pour l’instant, et on le retrouve sur pas mal de séries du moment. Côté musique, si l'essentiel de son répertoire se compose de joyeusetés en dessous de la ceinture, on y trouve quelques badman tunes -il en faut bien pour rallier le public masculin un tant soit peu à sa cause- et... attention... des lyrics conscients ! Et oui, Alkaline compte sur notre savoir pour déduire qu’une « pile alcaline à un côté négatif mais aussi un côté positif ».

Nous ne sommes apparemment pas à l’abri d’entendre bientôt Alkaline sur un gros one drop ... On ne lui en demande pas autant, mais le parcours de cet artiste réserve encore bien des surprises... à condition qu'il tienne jusqu'à 2016 ;-) !

Par Nounours
Commentaires (2)
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Par ElviDo le 18/08/2014 à 19:05
Mouais on verra où tout ça mènera... Niveau son rien de très innovant!
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Par tafari le 29/10/2014 à 11:23
très bizarre cette nouvelle tendance émo-goth dans le dancehall JA, je me demande bien où tout cela va aller.. On est quand même à des années lumières des flow et instrus de l'époque en terme de qualité

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