Reggae Ina Mexico: N'dondoman
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Reggae Ina Mexico: N'dondoman

Reggae Ina Mexico : N’dondoman & Son de Aquĺ

 

Globe-trotter invétéré, artiste «  touche à tout  », Frédéric Adande Gomes alias N’dondoman évolue de manière confidentielle dans la sphère reggae/ dancehall depuis une vingtaine d’années. Après avoir brièvement expérimenté l’univers de la réalisation audiovisuelle (N’dondoman est diplômé de la prestigieuse Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle à Paris), il a fait ses premières armes en tant que toaster à Reims avec General Good et Kayans. Eternel insatisfait doté d’une curiosité culturelle sans borne, N’dondo a ensuite collaboré avec un panel éclectique d’artistes, parmi lesquels l’activiste du hip-hop Arnaud Houndjo (fondateur d’ESPRIM) et le dub master champenois Geoffrey «  Mr Haze  » Robert. Par ailleurs, il a beaucoup fréquenté la scène électro-rock rémoise (il est notamment proche de François Pavan, l’un des architectes de cette nouvelle scène) ainsi que composé avec des musiciens traditionnels au Burkina Faso où il a vécu en dilettante pendant plusieurs années. Depuis cinq ans, c’est désormais au Mexique que N’dondoman a posé ses valises. Rencontre avec cet anticonformiste pour un état des lieux de la scène reggae/ dancehall mexicaine.

Reggae.fr : Avant toute chose j’ai envie de te demander, d’où vient ton nom de scène, N’dondoman  ?
N’dondoman : N’dondo, c’est mon nom africain, c’est un nom mpongwe du Gabon. En fait, au Gabon, on a une sorte de prénom dans le nom. Mon nom officiel c’est Frédéric Adande Gomes mais en réalité ça aurait dû être Frédéric N’dondo Gomes. Mais à ma naissance en France, la loi stipulait que je porte exactement le même nom que mon père, c’est-à-dire Adande. Du coup, quand je me suis mis à chanter, j’ai pris mon nom gabonais, N’dondo, et j’ai simplement rajouté la particule «  man  ». J’ai trouvé ça plutôt original, ça changeait des «  Prince  », «  General  » et autres «  Captain  » qui sont pléthore dans le milieu du ragga/ dancehall.



Tu es donc d’origine gabonaise par ton père, c’est bien ça  ?
Oui c’est exact.

Mais avant ton expérience mexicaine, quand tu es parti vivre en Afrique, tu t’es installé au Burkina Faso plutôt qu’au Gabon. Peut-on savoir ce qui a orienté ce choix  ?
En fait, j’ai vécu au Burkina Faso pour des raisons estudiantines. J’ai étudié le cinéma à l’ESRA, et le Burkina Faso était et reste toujours la capitale du cinéma africain. Donc après mes trois années d’études à Paris, je comptais poursuivre au Burkina Faso. Je me suis ainsi inscrit à la faculté à Ouagadougou, mais malheureusement la section dans laquelle j’étais inscrit, «  Chef opérateur  », a fermé. Malgré ça, je suis tout de même resté vivre au Burkina Faso car j’y avais noué des contacts avec des réalisateurs comme Idrissa Ouedraogo et Gaston Kaboré qui a obtenu le César du meilleur film francophone en 1985, et des musiciens comme Bil Aka Kora, Ahmed Cissé et Karim Kaboré qui est l’un des plus grands batteurs du Burkina Faso et qui vit désormais à Paris. J’ai donc rencontré le microcosme artistique burkinabé, je suis devenu ami avec pas mal d’artistes et je suis finalement resté à Ouaga pendant quatre ans. En fait, c’est un peu là-bas que j’ai fait mon basculement du cinéma vers la musique, j’ai d’ailleurs travaillé sur le premier album de Karim Kaboré. En France, je jouais déjà dans un sound system avec General Good, mais là-bas ma vibe musicale c’est vraiment accentuée, grâce notamment aux amitiés très fortes que j’avais tissées. Pour ce qui est du Gabon, j’ai perdu mon père assez jeune, ce qui m’a éloigné d’une certaine manière de ma famille restée sur place. Quand je vivais au Burkina, j’ai plusieurs fois envisagé de rentrer au Gabon, mais il s’avère que les billets intracontinentaux Ouagadougou-Libreville coûtent la peau des fesses… Bref, un concours de circonstances fait que je ne suis pas retourné au Gabon depuis mon enfance, mais je n’exclue évidemment pas d’y aller à nouveau un jour. Mais pour revenir au Burkina Faso, je dois dire qu’il faisait bon vivre quand j’y résidais et puis artistiquement parlant, il y avait plein de choses à faire là-bas. J’ai participé à toute une série de concerts avec Ahmed [Cissé] et Karim [Kaboré].



Donc désormais c’est au Mexique que tu as posé tes valises. Pourquoi le Mexique  ? Comment es-tu arrivé là-bas  ?
C’est complétement par hasard que j’ai atterri au Mexique. À mon retour du Burkina Faso, avec ma copine de l’époque, on est allé passer des vacances au Mexique grâce à un pote steward qui nous avait obtenu des billets d’avion pas chers. À la base, on ne comptait pas rester tout le temps au Mexique, on pensait pouvoir aller en Equateur avec un billet intracontinental. Mais comme en Afrique, les prix des vols intracontinentaux en Amérique centrale sont quasiment les mêmes que ceux des vols extracontinentaux. Avec ma copine, on est donc resté presque deux mois au Mexique et un jour, on a rencontré de très bons musiciens qui jouaient en pleine rue. On s’est immédiatement lié d’amitié avec eux et lorsqu’ils ont su que j’étais chanteur, ils m’ont demandé de leur chanter une chanson. Et ça leur a plu car le lendemain, on est parti enregistrer cette chanson dans leur studio. Ensuite, j’ai poursuivi mes vacances, puis un mois après, avant de reprendre l’avion pour Paris, je suis revenu les voir pour le mixage et pour poser quelques voix. Dans un premier temps, l’histoire s’est arrêtée là. Mais deux ans plus tard, je me suis séparé de ma copine et il en fut de même pour les trois musiciens mexicains que j’avais rencontrés dans la rue. On se téléphonait pas mal pour se remonter le moral mutuellement et un jour, l’un d’entre eux m’a proposé de venir jouer avec eux au Mexique, ce à quoi j’ai répondu  favorablement puisque je n’avais plus d’attaches sentimentales. En plus, les mecs avaient beaucoup de talent, donc je n’ai vraiment pas hésité une seule seconde, même si le Mexique ce n’était pas la porte d’à côté et même si je ne parlais pas un mot d’espagnol. Je suis donc arrivé au Mexique il y a cinq ans. Ensemble, on a créé un groupe qui s’appelait Supercabroun. C’était une grosse formation, on était neuf. Le groupe a existé sous cette forme pendant trois-quatre ans, puis il a donné naissance à notre formation actuelle Son de Aquí (que l’on pourrait traduire par «  Ils viennent d’ici  »). C’est très intéressant car c’est un groupe qui fusionne le son cubain avec de la cumbia, des rythmes locaux, des sonorités africaines, du reggae etc. Le groupe joue une musique qui n’est vraiment pas conventionnelle et ça m’a plu tout de suite, j’ai trouvé ça super intéressant.



Donc c’est toi qui apporte le côté reggae/ dancehall dans cette formation  ?
Davantage «  dancehall  », car le batteur, Gerardo Balandrano, il chante aussi et est très bon en reggae. Mais il a plus un style «  reggae roots  », donc moi j’apporte ma touche «  dancehall  ». On est très complémentaire. En fait, on est dans une idée évolutive du reggae.

Peux-tu nous faire un état des lieux de la scène reggae sur place  ?
Le reggae est très apprécié à Mexico et de ce que j’ai pu constater, c’est apprécié dans tout le pays. Il y a vraiment un engouement de la population, c’est indéniable. Il y a aussi pas mal de groupe de reggae roots, par contre il y a très peu de chanteurs de dancehall. En fait, il y a beaucoup de sound systems — j’ai plus traîné dans les sounds que dans les concerts de reggae — mais le problème c’est qu’il y a très peu de chanteurs pour animer ces sounds, le nombre de chanteurs de dancehall ou de toasters est limite affligeant. On est vraiment très peu.



Donc comment tournent les sounds  ? Grâce aux disques uniquement  ?
Oui c’est ça, les DJs animent un peu, mais les sounds s’appuient principalement sur des dubplates. On ne voit pas trop de toasters comme en France ou ailleurs. Des gros sound systems comme King Dragon, il n’y en a pas ici, pas plus que des mecs comme Biga Ranks. D’ailleurs au passage, Big Up à Biga Ranks qui va bientôt venir jouer ici  ! C’est vrai qu’en France on a vraiment un vivier de chanteurs, de toasters, qui n’existe pas au Mexique. Cela s’explique, je pense, par le fait que la culture «  reggae  » est beaucoup plus jeune au Mexique. Ici le «  roots  » est beaucoup plus développé que le dancehall, mais les choses commencent à changer. Il y a de plus en plus de sound systems qui sont intéressés par l’idée de créer des sounds de toasters.

Peut-on dire qu’on est aux balbutiements du dancehall au Mexique?
Non, je ne dirais pas ça, je dirais plutôt qu’on est dans une phase de structuration.



Et connais-tu d’autres Français qui évoluent dans ce milieu du reggae/ dancehall à Mexico  ?
Moi personnellement, je n’en connais pas. J’ai croisé quelques Jamaïcains, quelques Haïtiens, ceux qui parlent français sont surtout haïtiens. Mais pour ce qui des Français qui font du dancehall, je n’en connais pas ici.

Et Sergent Garcia, il traîne là-bas, non  ?
Sergent Garcia, c’est un mystère  ! En fait, un jour, il est venu voir Son de Aquí en concert à la Pata Negra à Mexico, on a parlé d’une production commune, Garcia sur l’album de Son de Aquí et vice-versa, mais apparemment ça ne s’est pas fait et je n’ai plus eu de nouvelles…. Mais franchement, on a passé un bon moment ensemble ce soir-là, en plus j’ai eu la bonne surprise d’apprendre qu’on avait des origines communes car sa mère, je crois, vient de Reims comme moi. C’était vraiment sympa de discuter avec lui, et puis ça fait toujours plaisir de voir un mec du niveau de Sergent Garcia venir te voir en concert et apprécier ta musique. En fait, je pense que Sergent Garcia habite en Espagne, mais vient très souvent à Mexico City. Ça ne m’étonnerait pas qu’on se recroise, car il aime probablement beaucoup cette ville. Il a même peut-être fait des concerts ici, mais le problème c’est que c’est immense Mexico, donc c’est difficile de savoir tout ce qui se passe culturellement parlant, c’est impossible d’être au courant de tous les concerts qui ont lieu à Mexico City.



Et sinon ton intégration dans l’univers de la musique, comment s’est-elle fait ? C’était compliqué  ?
Non, ça s’est fait relativement facilement. Le plus gros problème, c’était la barrière de la langue, car je ne parlais pas du tout espagnol en arrivant. Mais ici, il y a quand même une mentalité assez tolérante à ce niveau-là. Par exemple, plus jeune, j’avais déjà vécu à Londres. Si à Londres tu ne parles pas anglais, les gens ne te calculent même pas, t’es un pestiféré  ! Ici, si tu ne parles pas espagnol, les gens essaient de trouver un moyen pour communiquer. J’ai trouvé ça assez classe. Et puis j’ai bénéficié du fait d’être étranger, d’être français, d’arriver avec un style qui n’était pas du tout présent, donc ça a tout de suite accroché avec les musiciens locaux ainsi qu’avec le public. Je représentais quelque chose de différent, donc j’ai eu une flopée de propositions dès ma première année au Mexique. J’ai fait pas mal de collaborations dans tous les sens, j’ai joué sur l’album de Carlos Forero, de Nina qui est un groupe de rap électronique (un album qui au demeurant n’est pas encore sorti) etc. Non, clairement, l’intégration fut plus que simple, c’était franchement l’eldorado.

Alors ton groupe actuel, Son de Aquí, est dit-on en train d’exploser là-bas. Peux-tu nous en dire plus sur votre actualité?
On a terminé l’enregistrement de l’album qui sortira prochainement chez un label indépendant, et on vient d’être embauché par le gouvernement fédéral, le gouvernement de la région de Mexico, pour faire toute une tournée des délégations de la ville de Mexico City, une tournée de seize concerts répartis sur une période d’un mois et demi, sans compter nos contrats à nous en parallèle, donc c’est plutôt intense en ce moment. Effectivement, ça commence à marcher pour nous, on fait pas mal de télés, radios etc. Le chanteur, Leonardo Prieto, qui est également le chef d’orchestre, est très actif, il chapeaute bien le groupe, il est très professionnel. Donc, ouais, ça explose plus ou moins, on est sur la bonne voie…



J’ai cru comprendre que tu vis désormais avec ta femme et ta fille, là-bas  ?
C’est ça, j’ai une petite fille d’un an et demi, Nina (du nom du groupe avec lequel j’ai collaboré) que j’ai eue avec une Française, et j’ai donc fait venir me femme et ma fille ici.

Et socialement parlant, la vie n’est pas trop tendue à Mexico  ?
Non, franchement, non, d’autant que ma femme et ma fille ne vivent pas à Mexico, en raison des problèmes de pollution. Elles sont à Cancún. Moi, je fais le va-et-vient. Mais sinon, franchement, pas de problème. En plus, étant donné mon look, je n’ai aucun problème de sécurité. Et les problèmes de racisme, quand il y en a (comme partout), on va dire que je fais semblant de ne pas comprendre l’espagnol. Mais bon, je ne suis pas le plus à plaindre, la situation des Indiens est bien pire, ils vivent pour beaucoup dans une grande précarité. À dire vrai, les gens sont plutôt intrigués de voir un métis rasta, ils sont plutôt sympathiques. Les réactions sont plutôt positives, des grands sourires etc. Franchement, cette ville n’est pas si dangereuse qu’on veut le faire croire. Auparavant j’ai habité dans un quartier réputé «  très dangereux  » dans le centre-ville, mais je n’ai jamais eu le moindre pépin. Je dirais même que j’ai été adopté par les gens de ce quartier plutôt que rejeté. 

Merci N’dondo pour cet entretien qui invite au voyage et bonne continuation sous le soleil du Mexique.
Merci à toi Jérémie.

Par Jérémie Kroubo Dagnini; photos JKD et courtoisie Son de Aqui
Commentaires (1)
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Par Oam le 02/10/2014 à 17:14
Fais péter ton album Man!!! On croit en toi.

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