Valley - Atout coeur
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Valley - Atout coeur

Il fait partie des plus nobles et fidèles serviteurs du reggae-dancehall aux Antilles. Arrivé avec la vague des premiers artistes qui en ont concrétisé le succès au début des années 2000, Valley a contribué avec ses pairs à tracer la pérennité du reggae-dancehall. C’est un an après qu’il se soit fait remarquer dans le milieu underground avec Fleur de lys que le public le découvre en 2001 sur Koté plan-an yé (Quel est le programme ?) feat. Lieutenant extrait de l’album Saël and Friends. La grande révélation intervient trois ans plus tard avec le tube X-cess Love feat. Saël, de l’album Dual shock avec Pleen. Porte-voix des minorités en Martinique, Valley se positionnait déjà à contre-courant de la société antillaise décadente. Les titres Matinitché (Martiniquais) et surtout La vi-a rèd (la vie est rude) le confirmeront donc sur un créneau righteousness, au point que son succès d’estime se solde par un Prix Sacem en 2007 pour son premier album Mèt a pawol (Lyriciste). A la suite d’un second départ en croisade avec son « Artmada » composée de Saël, Pleen et Lieutenant en 2008, Valley se recentre sur son univers propre pour mieux le peaufiner. Il sort sa seconde carte Valley de pique, un disque où se mêlaient égotrip du hip hop créole (Sound boy requiem) à la vivacité de la dancehall (Big bambam feat. Keida). Vient maintenant le temps pour Valley de revenir à ses premiers amours avec Atout cœur, son troisième album sorti le 19 juin dernier.

Valley a choisi la voie du love en temps de guerre. Atout cœur réunit habilement les composantes de l’univers d’un artiste passionné par la musique actuelle caribéenne, brute et sans artifice. Si son précédent album était très empreint d’une touche locale et urbaine, c’est pour des sonorités mélodieuses et non électroniques puisque riche en instruments qu’opte Valley. Il n’en fallait pas moins pour un univers musical parfaitement adapté à sa voix si singulière, l’une des plus belles du paysage musical aux Antilles. Cet album aurait pu s’intituler « Le chant du cœur ». Le reggae en guise de love music par excellence, l'album majoritairement reggae-roots s’introduit naturellement avec le subtile L’amour n’est pas un jeu. Il place la barre haut d’emblée avec ce morceau qui restera sans doute comme l’un des meilleurs titres de reggae francophone de cette année. Mais les tonalités dancehall ne sont pas absentes pour autant. Valley a eu ce réflexe de ponctuer et d’animer l'opus par une ambiance où cohabitent la passion et la mélancolie, et ce à l’aide de hits efficaces tels que Sa ki fo’w, Party warm up feat. Chico mais surtout l’entraînant Eskè zot lé paré feat. Dangerous. De quoi rappeler que sa musique est indissociable du registre dancehall, bien que ce soit le reggae qui offre les morceaux les plus aboutis.
Atout cœur est l’album d’un Valley humble, sentimental et inventif dans l’écriture. Valley y donne libre cours à toute sorte de sentiments exprimés sans retenue par une voix mature aussi juste dans les aigus que dans les graves. La huitième piste donne le départ d’une seconde mi-temps intense. Déjà présente sur l’album Just as I am  de DJ Gil l’été dernier, la chanson Viv’ est sans doute la plus transcendante bien que chantée en créole. Le texte est merveilleusement bien écrit, et sa mise en image prend un double sens dans le clip de Garry Baron, qui rappelle les possibles conséquences dramatiques qu’entraînent certains actes, pose des mots sur le sentiment de la résignation à aimer :
« Ne tombons pas dans le piège de la routine, des habitudes infondées donc illogiques,
Histoire d’éviter de chavirer sur des sables mouvants en guide de rivages…
Alors je préfère m’infliger la souffrance de vivre sans toi,
de réapprendre à vivre sans toi…
»



L’expérience de Valley lui permet d’aborder le thème de l’amour sous des formes insoupçonnées, que l’on prêterait davantage au zouk qu’au reggae. L’instinct de cet artiste porte-voix des minorités silencieuses ressurgit avec Dans l’ombre dédié aux femmes délaissées. La grande surprise intervient avec la collaboration la plus intéressante : Séparons-nous. Accompagné de la brillante Perle Lama – dont la voix d’or manque éperdument à la musique caribéenne comme au Rnb français – Valley chante le dilemme de la rupture. Le thème a beau être des plus courants, l’approche et la complémentarité des deux artistes rendent le morceau agréable au point d’en faire l'un des meilleurs singles de l’album.

Atout cœur illustre bien la capacité de la musique de l’outre-mer à conserver son identité créole tout en accordant une place de choix au français, pour ainsi mieux s’exporter et séduire le public francophone. Valley a su affiner son univers musical en lui donnant la large direction du reggae-dancehall. Les pistes Doudou et Rêve apportent une juste dose de hip hop et il n’en fallait pas plus. L’on regrette tout de même le choix quelque peu maladroit d’avoir intégré à Atout cœur certains titres au seul motif de leur thème. Mais la prise de risque réussie en piano-voix avec Ma star ferme en beauté la boucle d’un album où Valley s’assume et se surpasse. Cette carte est assurément celle de la rebelote pour Valley qui a réussi le pari de se renouveler, prouvant ainsi qu’il portera encore longtemps les couleurs du reggae-dancehall aux Antilles.

Par Jason Moreau
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