Patko, héritier Maroon - Interview
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Patko, héritier Maroon - Interview

Deux ans après son premier album Just Take It Easy, Patko s'apprête à sortir un nouvel opus explosif, Maroon. L'héritage culturel et musical de Patko est riche et c'est ce qu'il tend à démontrer dans ce 13 titres qui séduira autant les amateurs de hip hop, que de reggae new roots, ou encore de musiques africaines et musiques dites du monde. Composé sur la route de ses tournées, enregistré entre la Jamaïque et l'Hexagone, Maroon est le cri d'un descendant d'esclaves affranchis et d'une tribu dont le territoire s'étendait de la Guyane Française au Suriname. L'Amérique du sud, les Caraïbes, l'Afrique et la France, telles sont toutes les influences que l'on retrouve dans Maroon, qui sera dans les bacs le 23 octobre prochain. Rencontre :

Reggae.fr : Quel chemin as-tu parcouru depuis Just Take It Easy, ton premier album?
Patko : Just Take It Easy a eu un super accueil. Pour un projet autoproduit, il m’a permis de pas mal voyager. J’ai tourné pendant deux ans et j’ai pu faire les quatre coins de la France avec des musiciens. J’ai aussi été nominé aux Lindor en Guyane, et aux Victoires du Reggae. Je suis vraiment content du soutien que j’ai reçu et ça a permis de faire connaître ma musique ! 


As-tu travaillé différemment sur ce nouvel album ?
Pas vraiment, je ne me suis pas mis cette fameuse pression du deuxième album qu’on a souvent. Just Take It Easy était une sorte de compilation de morceaux que j’avais déjà et avec lesquels je tournais pas mal dans la région de Grenoble. Ce deuxième album m’est venu tout naturellement et j’ai travaillé avec les mêmes ingrédients pour faire les morceaux. J’aime particulièrement composer quand je suis en voyage, notamment quand on était en tournée dans les montagnes avec Conquering Sound, ou aux États-Unis quand j’ai rejoint le Dubtonic Kru. Au niveau de l’écriture, l’inspiration me vient de la musique. Je n’arrive pas à écrire tout un texte sans musique, j’ai besoin que la musique et le texte avancent en même temps. C’est pour ça d'ailleurs que quand on m’envoie un one riddim, j’ai du mal à entrer tout de suite dedans. 




Et comment s’est passé l’enregistrement ?
Une partie de l’album a été enregistrée en Jamaïque, j’ai travaillé avec Dean Fraser et le claviériste de Dubtonic. Dubtonic Kru, ça fait au moins dix ans que je les connais ! Avant tout, on a un rapport amical. On ne parle pas que de musique, car elle fait partie de nous, et donc ça se fait naturellement. Ils m’ont même proposé d’aller bosser avec Winta James, j’ai fait la bêtise de ne pas y aller (rires). J’ai donc bossé certains titres avec eux et je suis revenu avec les prises pour les finir en France. Il y a aussi Keri Ann, choriste notamment de Protoje, qui a fait des backs vocaux. Quand elle est revenue en France pour la tournée de Protoje, on en a refait certains à Lyon. Aller tout faire de A à Z dans un même studio, c’est une expérience que je ne connais pas !




Que représente la pochette de ton nouvel album, Maroon ?
C’est un montage d’une photo de moi jeune et d’un des villages où ont grandi mes parents. Ils sont arrivés jeunes en Guyane, ma mère aidait un village de lépreux en tant qu’aide-soignante, car à l’époque on avait peur des malades. La cinquantaine de maisons du village a ensuite été abandonnée, et la guerre civile au Suriname a amené 10 000 refugiés d’un coup en Guyane, une partie de ces personnes se sont retrouvées dans ce village, d’autres à Saint-Laurent. Ces réfugiés étaient aussi des descendants de Maroons. L’effet d’ombre portée sur la pochette donne un petit côté tribal qui rejoint ce combat des Maroons. Je suis descendant d’une tribu rebelle, des esclaves qui ont combattu et se sont affranchis eux-mêmes. Mon père et ma mère sont descendants de Maroons. Ça fait partie de nous, et ce combat continue encore aujourd’hui. 




Peux-tu nous parler du morceau Tears ? qui évoque justement la question des réfugiés.
Même si ce n’est pas pour ça que je l’ai mis en premier sur l’album, on est en plein dans l’actualité. C’est très similaire à ce qu’on vit aujourd’hui avec les réfugiés. Des personnes qui n’ont jamais connu d’autres cultures ont ce réflexe naturel de rejet. Il y a aussi ce climat d’insécurité instauré avec une certaine image des jeunes des quartiers. Ça paraît utopique de dire à ces gens-là de s’ouvrir, de regarder autour d’eux, mais ce n’est même pas à eux qu’il faut parler, c’est plus haut, aux politiques. Il y a des communautés en France qui se sentent rejetées et qui réagissent en fonction. A l’école, il n’y a pas une seule ligne sur les Maroons, qui sont impliqués dans l’Histoire de France. Ça donne l’impression d’être petits, c’est ce que le système nous montre : qu’on est petits. 


Ça nous amène au morceau éponyme de l'album, Maroon, avec Djely Kouyaté…
J’ai composé le titre en France, mais j’ai voulu ajouté un côté un peu mystique. Souvent même dans rastafari on parle de « repatriation » et on regarde vers l’Afrique. Du coup j’ai voulu créer ce pont avec l’Afrique qui ferait se rejoindre des peuples frères. J’ai contacté Manjul pour qu’il fasse certaines des percussions, et je voulais aussi un griot ou une griotte donc on a pu avoir Djely Kouyaté avec qui Manjul travaille. Ce morceau peut paraître assez triste aux gens mais il conserve quand même une forme d’optimisme. 




Il y a aussi Lob Surinam avec Fantan Mojah et Joggo.
C’est le deuxième morceau, avec Maroon, que je chante en créole sur cet album. Joggo est du pays, et Fantan Mojah est très souvent au Surinam, il squatte carrément (rires) ! Mais il a enregistré sa partie en Jamaïque et je n’ai malheureusement pas vraiment pu échanger avec lui. Cette chanson chante l’amour pour ce pays et la fierté qu’on en tire. Je cite mon parcours en pensant à tous les Surinamiens. C’est ce que m’a donné ce pays qui a fait que j’en suis arrivé là. Je veux donner un peu d’optimisme aux jeunes, qui ne voient que le business et la drogue comme issue… 


C’est ce dont tu parles dans Dutty Money ?
Oui, et c’est vraiment quelque chose que j’ai vécu. Le business de la drogue est un mode de vie extrêmement répandu en Amérique du Sud et qui a l’air de convenir aux gens. Tu commences à parler musique, on te dit direct « Ah mais toi t’es en France, y a pas moyen de … » ? Je voulais montrer qu’en tant que Surinamien on peut faire autre chose que ça. 


C’est un album très personnel. D’autant plus sur des titres comme I Know ou Daddy. Que transmets-tu à tes enfants de tes expériences ?
J’essaye déjà de leur faire comprendre la grandeur des origines africaines et de les y intéresser. Avec ma grande fille, c’est un peu compliqué car elle vit à en banlieue parisienne et a chopé ce truc d’être fière de la cité. Ma petite de 5 ans est par contre très à l’écoute. Elle a voulu participé au clip de Tears, elle pose souvent des questions, surtout quand elle voit des gens dans la rue, on parle de la misère. On essaye dans notre mode de vie d’échanger et de beaucoup communiquer, parce que je fais quand même un métier où je dois pas mal bouger. 




L’album est en majorité reggae mais on sent aussi des influences diverses dont le hip hop. Il y a d’ailleurs un titre avec le rappeur Rockin Squat, Kingdom of Ashes.
L’inspi de ce morceau m’est venu en live. J’ai pensé à pas mal d’artistes, et je l’ai envoyé au culot à Rockin Squat. Il a kiffé et a voulu participer, du coup on a retardé l’album pour qu’il puisse enregistrer ! Il m’a contacté derrière pour faire un show avec le groupe Assassin, c’était vraiment une bonne connexion. Rockin Squat est quelqu’un d’acharné dans le travail et militant, je le respecte beaucoup, il est vrai. 


Comment ça s’est passé avec Balik et Natty Jean sur Egalité & Justice ?
Je connais bien Natty Jean, on avait fait une tournée dans les montagnes ensemble et la vibe est vraiment bien passée. Pour Balik, je l’ai connu avant, lors de la tournée avec Maxxo. On avait envie de faire un truc ensemble. C’est une véritable collaboration où on a tous apporté quelque chose. 




Est-ce qu’il y a des featurings que tu voulais et qui n’ont pas pu se faire ?
Oui on a discuté avec Protoje, il aimait le titre, mais il sortait un autre projet au même moment et ça a un peu trainé… Bref, c’est là où j’adore Balik et Danakil, ils ne sont pas là à se demander ce que je vais leur apporter, ils font le truc, c’est un soutien réel. C’est tout con, mais cet album là peut changer pas mal de choses voire ma vie ! Et ils contribuent à m’aider, c’est un bel effort.


En parlant de Protoje, tu suis l’actualité musicale jamaïcaine ?
Je la suis, mais par contre plus ça va et moins je suis dancehall, c’est parce qu’on vieillit ça, je deviens un vieux con qui va finir dans sa cabane en Ardéche (rires) ! 


Qu’est ce que tu écoutes ?
En musique jamaïcaine en ce moment pas grand-chose à part Morgan Heritage. Je suis plus sur du hip-hop : Lino et Joey Badass, son équivalent aux États-Unis quoi. 




Sur scène, tu préfères l’exercice du sound system ou du live ?
Je préfère largement jouer avec des musiciens. En sound system, j’ai l’impression de présenter quelque chose de figé. Il faut avoir la personnalité qui correspond pour pouvoir faire vivre le truc. C'est une discipline à part entière et je préfère la pratiquer à plusieurs. Avec d’autres artistes comme Maxxo ou Natty Jean, ça me pousse plus ! J’aime bien la place du benjamin, je me repose sur eux (rires) ! Plus sérieusement, je vais défendre cet album sur scène avec des musiciens, les premières dates arrivent fin novembre mais il me manque un tourneur, donc l’appel est lancé ! 


Que ferais-tu dans la vie sans la musique ?
Je serais peut-être resté sapeur-pompier. Je l’ai été plusieurs années en Guyane. J’ai eu plusieurs vies.

Par Propos recueillis par LN ; Photos : Ninon Duret
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