Sun Ska 2016 - Bilan avec Fred Lachaize
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Sun Ska 2016 - Bilan avec Fred Lachaize

Après une soirée annulée en 2013 pour cause d'intempéries, une année 2014 difficile financièrement et une édition 2015 qui était un premier pas vers la remontée de la pente, le Reggae Sun Ska semble définitivement sur la bonne voie. Certes l'ecléctisme de la programmation n'a pas fait l'unanimité, mais le festival, quasiment complet sur les trois jours, a retrouvé l'ambiance festive et l'énergie des éditions médocaines. On fait le bilan avec Fred Lachaize, directeur et programmateur de l'évènement.

Reggae.fr : Est-ce qu'on peut dire que le Sun Ska pousse enfin un grand ouf après la réussite de cette 19ème édition ?
Fred Lachaize : Ce qu'on peut dire c'est qu'il aura vraiment fallu trois ans pour que tout le monde prenne ses marques sur ce site du Campus Universitaire de Bordeaux. A la fois en termes d'organisation et de retours extrêmement positifs de la part du public. Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas eu autant de bons feedbacks d'ailleurs ! On est contents d'avoir retrouver cet esprit du Sun Ska qu'on avait un peu perdu peut-être ces dernières années. On a eu une superbe affluence cette année sur les trois jours, en nette progression, mais on est encore en train de combler les pertes des années précédentes. Le Reggae Sun Ska n'est pas encore sauvé, loin de là. Mais quand on a des bilans comme celui de cet été, c'est quand même une bouffée d'oxygène. Et là je ne parle pas que de l'aspect économique, mais aussi au niveau du ressenti du public et des partenaires. On a regagné la confiance de tout le monde et ça nous motive d'autant plus. C'est là qu'on se rend compte qu'on ne fait pas tout ce travail pour rien.

Cette perte de confiance que tu évoques venait en partie du changement de site qui avait été un peu mal digéré par certains habitués du festival quand il se tenait sur les terres médocaines. Penses-tu que le festival est en train de se construire un nouveau public ?
Le déménagement de Pauillac jusqu'au Campus de Bordeaux a été effectivement mal digéré par notre public « roots ». Pour eux, le Campus est un univers trop urbain. Mais moi je trouve que l'Université est le symbole de toute une jeunesse et pour moi ça avait du sens de s'installer ici. On n'a pas non plus été faire le Sun Ska dans une salle type Zénith. Le public du festival a en effet légèrement évolué. Cette année la moyenne d'âge était de 22-23 ans, un public plus jeune que jamais, donc c'est finalement logique de faire ce genre d'évènement dans une fac. On a peut-être aussi récupéré une partie du public qui nous avait boudé parce qu'ils n'avaient pas compris le changement de site. Si on a quitté Pauillac c''était parce qu'on avait atteint les limites sécuritaires du lieu. On ne voulait pas reprendre le risque de revivre une évacuation de site comme en 2013. On a joué avec le feu sur le site de Pauillac. Des parkings situés à 7 kilomètres du lieu des concerts quand on doit évacuer 20 000 personnes, c'est insensé. La préfecture nous avait demandé plusieurs fois de quitter cet endroit et on a fini par le faire. Et suite à ça, il a été difficile de trouver une alternative sur le même territoire. Nous n'avons pas trouvé par nous-mêmes et aucune solution politique ne nous a été proposée. A l'Université de Bordeaux, on répond à tous les critères de sécurité et même dans un pays en état d'urgence, on se rend compte que le festival s'est bien déroulé. Le public s'y est bien senti.



Allez-vous continuer à développer le festival sur ce site de manière durable ? La presse quotidienne régionale a répandu des rumeurs de nouveau déménagement avant même la tenue de l'édition 2016...
En fait, on travaille depuis plusieurs années sur un projet de lieu durable pour accueillir à terme le festival. C'est une idée sur laquelle on planche toujours mais qui est en train de muter. Au lieu de réfléchir uniquement à un site pour héberger le Reggae Sun Ska, on parle de mettre en place un vrai pôle culturel médocain avec une salle, des bureaux, des outils, des espaces de travail dédiés à la musique. Ça ne servirait pas à grand-chose de simplement bâtir un site pour trois jours de festival par an alors même qu'il n'y a toujours pas de salle de spectacles dans le Médoc. En ce qui concerne l'Université, on a reconduit notre contrat sur les trois années à venir. Tout le monde a pris ses marques sur ce site et il y a un vrai travail de collaboration avec le milieu universitaire qui s'est mis en place donc on ne va pas casser cette dynamique si rapidement. On va consolider cette réussite en restant encore sur ce site, le temps de préparer le futur tranquillement mais sûrement. Ces dernières années, on était rentré dans une espèce de course à l'augmentation des budgets, du nombre d'artistes programmés, du nombre de spectateurs accueillis et on s'est rendus compte qu'il valait mieux faire 15 000 spectateurs en maîtrisant extrêmement l'évènement plutôt que d'essayer de faire toujours plus en prenant des risques.

Malgré les menaces qui pèsent sur les Français, et notamment lors des gros rassemblements, le public a répondu présent. Quelles mesures de sécurité avaient été mises en place face aux risques d'attentats et as-tu personnellement gardé en tête cette menace pendant le festival ?
Plutôt que d'attendre que la préfecture nous impose des choses, on a très vite proposé des mesures en réaction aux menaces d'attentats. On voulait que ça ait le minimum d'impact pour notre public. On a fait pas mal d'aménagements complémentaires sur la gestion des flux comme des doubles barriérages à certains endroits, des systèmes de chicanes sur les accès routiers, des contrôles des accès routiers à l'extérieur mais aussi à l'intérieur du site. On a cherché avant tout à mettre en place des moyens mécaniques pour ne pas se retrouver avec des moyens humains disproportionnés et une sur-présence policière. Et bien sûr que pendant le festival, on ne pouvait pas faire abstraction de la menace. En plus, nos équipes ont été particulièrement touchées par les évènements de Nice et du Bataclan car ce sont des lieux que l'on connaît très bien, où on a même produit des concerts. On ne pouvait pas ne pas y penser. Mais bien sûr qu'il ne faut pas arrêter d'organiser des évènements. Il ne faut pas céder à la peur. Il faut garder des espaces de créations, de divertissement et d'échange. Et peut-être que ce climat de tension a finalement participé à la bonne ambiance de ce festival. Les gens avaient juste besoin de passer un bon moment et ils ont pu le faire en toute sérénité.

Le Sun Ska ne s'est jamais limité au reggae pur et dur dans sa programmation, mais on sentait que l'ouverture d'esprit était encore plus grande cette année avec des artistes comme Ludwig Von 88, Vandal ou Bigflo & Oli. Était-ce là aussi la clé de la réussite cette année ?
Peut-être oui. Comme je l'ai dit notre public a rajeuni, donc il faut s'adapter à l'attente de ce nouveau public. Je me suis rendu compte que les vétérans les intéressent moins. Il en faut bien sûr, mais il ne faut pas que ça. C'est pareil pour les artistes un peu trop pointus. Quand on a fait jouer Chronixx et Kabaka Pyramid en 2014, presque tout le monde s'en foutait. Il y a quelques artistes aussi comme Busy Signal ou Mr Vegas dont on n'a pas eu les retours tant attendus. Je ne comprends pas trop pourquoi d'ailleurs. Ce sont des artistes de renommées internationales et qui plus est d'excellents performers scéniques. Mais il faut avouer qu'il y a un décalage en France. Le changement de site nous a aussi peut-être amené un public un peu plus généraliste. Il y a du coup des vieux artistes jamaïcains ou des découvertes que je ne peux pas me permettre de programmer parce qu'il y aurait un trop grand décalage avec le public. Je suis forcément un peu frustré de cette situation, mais on ne doit pas faire une programmation de festival pour se faire plaisir uniquement à soi-même. C'est bien d'avoir des coups de cœur et de faire découvrir certains projets mais il faut avant tout faire plaisir aux gens. On ne peut pas ne pas faire un Dub Inc en pleine actualité. On se doit de programmer ce genre d'artistes parce que cela fait partie des attentes du public. Certes il n'y a rien d'original pour un festival reggae en France à programmer Dub Inc ou Danakil, mais il faut se rappeler que c'est ce genre de groupes qui a aussi contribué à l'évolution du Sun Ska. Il y a une unité dans la scène française qui est appréciable et qui entraîne une progression commune de plusieurs acteurs de ce milieu. On grandit tous ensemble.





Et au niveau des artistes hors-reggae, on peut s'intéresser à Bigflo & Oli. Vous avez été vivement critiqués à l'annonce de leur venue sur le Sun Ska alors qu'au final, ils font partie des artistes qui ont ramené le plus de monde et qui ont mis tout le monde d'accord sur scène n'est-ce pas ?
Peut-être que le pari était un peu osé au début. Mais quand je vois l'attente qu'il y a eu et le résultat au niveau du show, qui a tout fracassé, je me dis qu'on ne s'y est pas trompé. Au vu du nombre de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, on avait tous une appréhension sur ce concert, y compris le groupe lui-même. Et finalement, ça fait partie d'une des plus grosses dates de leur tournée et c'est sans doute l'un des concerts où ils ont eu le plus de retours dans la presse autour de leur prestation. Moi je pense que Bigflo & Oli avaient tout à fait leur place. Le public vient dans un festival pour trouver une ambiance, un état d'esprit, une énergie et ces deux jeunes correspondent à cette ambiance. Si on regarde les programmations des grands festivals de reggae européens, on voit qu'il y aussi une ouverture d'esprit. Prenez le Summerjam de cette année, le vendredi soir sur la grosse scène, il n'y avait que de l'electro hip-hop en fait. Les publics évoluent et les programmateurs doivent le prendre en compte. Et il faut bien avouer qu'il y a peu de nouveaux projets qui explosent sur l’esthétique reggae de nos jours. Je trouve que la scène jamaïcaine est un peu pauvre en ce moment. Qui va être le prochain ? Quand est-ce que ça va se renouveler ? Parce que ça tourne quand même un peu en rond depuis quelques temps. La vague Reggae Revival avec Chronixx, Kabaka Pyramid, Raging Fyah, Uprising Roots et compagnie ne prend pas en France et il n'y a pas grand chose pour les remplacer. Donc l'ouverture vers le hip-hop ou l'electro est essentielle. C'est aussi ça qui nous amène des médias différents et de nouveaux publics. Pour revenir sur Bigflo & Oli, je pense qu'il y a pas mal de parents qui ont accompagné leurs enfants et qui du coup, ont découvert le reggae et sont repartis avec une autre image du Reggae Sun Ska. L'ouverture de la programmation à d'autres styles permet aussi de démarginaliser le reggae et de faire tomber quelques clichés qui lui collent à la peau.

Et quels ont été tes coups de cœur cette année ?
Il y a des groupes que je voulais faire de puis très longtemps que je suis content d'avoir accueillis comme Fat Freddy's Drop et Inner Circle. J'ai été très satisfait des ouvertures chaque jour par la scène française avec Wailing Trees, Tomawok et Ryon. Je suis aussi très content d'avoir vu Papa Style sur une grosse scène. En programmant ce genre d'artistes sur la Main Stage, on se rend compte du travail et de l'évolution des artistes au fur et à mesure qu'on les suit. J'ai en fait presque plus de fierté et de satisfaction personnelle à voir les réactions du public devant ce genre d'artistes que devant un Damian Marley, même si je suis très heureux de l'avoir accueilli cette année encore.





Quels points avez-vous identifié comme perfectibles cette année ?
Je pense qu'on a besoin de travailler plus sur la mise en espace et l'habillage du site. Le lieu est bien et pratique, mais il manque encore un peu d'identité. Il nous faut plus de déco, plus d'habillement lumières, ce genre de choses.

On vous a vus récemment communiquer sur des difficultés économiques au sein de Music Action. Peux-tu nous expliquer ce qu'il en est ?

Ce qu'il faut expliquer déjà c'est qu'on a une structuration particulière. On a monté un GIE (Groupement d'Intérêt Économique) qui s'appelle M'AGIE et qui regroupe l'association Reggae Sun Ska, le label Soulbeats Records et la société de production M'A Prod qui monte des tournées et organise des concerts. Le GIE est là pour mutualiser les moyens, que ce soit des emplois, du matériel ou des locaux. On a eu quelques difficultés avec Soulbeats Records. Tout le monde sait aujourd'hui que le secteur du disque ne va pas très fort en ce moment, mais en plus de ça, le logisticien de notre distributeur a déposé de bilan. Donc les stocks de disques Soulbeats et notamment nos dernières sorties ont été bloquées pendant plus de deux mois par le liquidateur judiciaire. Ce qui veut dire que les dernières sorties du label n'ont pas été mises dans les bacs à temps. Tout ça a entraîné des gros décalages de trésorerie et une perte de confiance des revendeurs vis-à-vis de ce distributeur. On s'est rendus compte que ça allait avoir des conséquences importantes sur le maintien des emplois. On a donc mis en place une procédure de licenciements économiques sur l'ensemble des structures adhérentes au GIE. Comme il y avait déjà des difficultés pour l'association Reggae Sun Ska depuis l'annulation de la première soirée en 2013, il a fallu prendre des décisions pour pérenniser notre activité. Outre les licenciements, on va déménager nos bureaux et réduire notre activité pour s'adapter à notre équipe réduite. Mais on ne ferme pas le label ni l'activité de production. On essaye de mettre en place un nouveau modèle. On est déterminés à poursuivre l'aventure et on vous donne rendez-vous l'année prochaine pour les 20 ans du Reggae Sun Ska !

Justement, prévoyez-vous quelque chose de particulier pour marquer le coup ?
On y réfléchit. Il y a des discussions, des idées, des projets en cours. Bien sûr qu'il faut marquer le coup. C'est important les 20 ans d'un festival. C'est déjà énorme d'en être arrivé là. Pourvu que ça dure !

Par Propos recueillis par Ju-Lion
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