Alexandre Grondeau - Interview GH3
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Alexandre Grondeau - Interview GH3

Alexandre Grondeau aka Sacha, est l’auteur de Génération H, une saga romanesque underground dont le troisième volet est paru en 2017. A quelques mois de la sortie du tome 4, ce touche à tout mélomane et intellectuel se prête au jeu de l’interview réalisé par le journaliste photographe Franck Blanquin.

Quels ont été les retours sur Génération H tome 3, Bons à rien sauf à vivre ?
Nous avons eu de très bons retours sur la fin originale notamment. Ce qui a plu aux lecteurs dans ce tome c’est que l’histoire se déroule à Paris par rapport aux autres qui se passait dans le sud et ailleurs en Europe… Je n’avais pas encore exploré Paris dans Génération H, en plus en toile de fond il y a le 11 septembre, le passage à l’Euro des choses qui ont marqué les gens de ma génération.
 
Dans ce tome 3, on retrouve un Sacha  plus posé, plus en phase avec sa vision des choses ?
Il est vrai que lorsque les lecteurs ont découvert Sacha dans le tome 1 de Génération H, il a 17 ans, il prend la route et découvre plein de choses. Cinq ans plus tard, il a plus d’expérience, il voit la complexité du monde qu’il l’entoure. Pour vivre il faut notamment de l’argent et pour le gagner il doit se débrouiller ou travailler. Cependant il n’a pas envie d’accepter les boulots qu’on lui propose, il se retrouve confronté à la réalité qui est dure, celle du passage à l’âge adulte. Sacha essaie de murir mais sans se renier, en gardant une partie de ses idéaux adolescents, et c’est là que se situe le tome 3.
Un des slogans de Génération H est "Ivres et libres, refuser le formatage et le compromis". Dans notre société actuelle, comment la Génération H peut-elle suivre cette quête de liberté ?
Présenter comme tel, c’est impossible, à moins d’être une rock star ou un joueur de foot à la retraite, ou rentier et gagner beaucoup d’argent … J’appréhende leur quête de liberté et d’absolu comme une chose qui peut se répéter mais de manière éphémère. La liberté dont je parle n’est pas une liberté extatique dans laquelle on baigne au point de s’y noyer, il faut apprendre à faire certains compromis avec comme but de ne pas trop se renier. Pour le refus du formatage il y a des livres, la culture, l’éducation qui permettent de nourrir ses idéaux, son esprit critique et de proposer des solutions alternatives.
Il ya quelques temps tu as visité à Christiana (quartier autogéré situé au Danemark). Est ce que tu as trouvé là-bas une manière de penser proche de celle de la Génération H ?
Christiana pourrait tout à fait représenter cela si elle n’avait pas au bout de 40 ans baissé pavillon et si elle ne s’était pas par pragmatisme convertie au néolibéralisme. Ce qui m’intéresse dans l’exploration de la société et du genre humain c’est de dépasser l’idée que nécessairement l’homme est bon et que la finalité de la société est bonne. Lorsque je regarde l’histoire de l’humanité je n’ai pas vraiment ce sentiment. J’explore les cotés obscures des dominants mais aussi des dominés... La construction d’un homme se fait par du travail, de la lecture, de la culture, de l’expérience, elle ne se fait pas sur la base d’être né pauvre ou riche. Je pense que la littérature permet d’explorer la complexité du genre humain.
Dans Génération H tome 3 Sacha et son équipe sont confrontés aux fachos, ils vivent également l’élection présidentielle de 2002. Comment te positionnes-tu par rapport à ça ce qui s’est passé en 2017 ?
J’ai l’impression qu’en 2002 on se révoltait contre des choses qui paraissaient abjectes (racisme, anti-sémitisme, haine de l’autre...), alors qu'aujourd’hui en 2018, un fatalisme a gagné beaucoup de gens et  s’est transformé en cynisme. On se recentre vers la famille, le groupe et l’entre-soi, ce qui aboutit à une réflexion qui pourrait être résumée ainsi : « si cela ne me concerne pas, c’est pas grave » et cela m’inquiète. Cependant, j’essaie de mettre cet état de fait en perspective pour me dire que l’histoire n’est pas écrite d’avance et que les montées du populisme sont cycliques dans l’Histoire de l’humanité, et je pense qu’aujourd’hui il y a bien moins d’anti-sémitisme ou de racisme qu’il y a  50 ou 100 ans.  Il suffit de lire pour cela les débats autour de l’affaire Dreyfus par exemple, ou certains livres d’époque où était écrit que le noir n’était pas humain. De nos jours si tu as de pareils écrits tu es condamné. Evidement il y a encore une frange minoritaire mais très active qui souffle sur les braises et essaye de faire vivre ces idéologies. Il faut toujours les combattre.
Tu parles souvent de culture underground, mais ne devrait-on pas parler de culture tout simplement ? Elle n’est plus underground puisqu’elle représente une partie de la société ?
Je partage cette analyse, le problème c’est qu’aujourd’hui nous  sommes dans un pays où il y a une culture qui est sponsorisée par l‘Etat. Le théâtre public, le cinéma en partie, des maisons d’éditions qui obtiennent des subventions pour sortir des livres … C’est donc une culture d’Etat. Et l’underground n’est pas sponsorisé par l’Etat il s’organise lui-même et lutte contre le système. Lorsque je vois ces gens de culture qui se disent de gauche en jouant les rebelles dans des pièces de théâtre financées par ceux qu'ils critiquent, je m'interroge... En réalité ils ne font  pas du tout du théâtre avant-gardiste tel qu’il existe dans l’underground.  
Le fait est similaire dans la musique. Si on prend la techno il y a une branche qui est complémentèrent aséptisée et variétisée, et d’un autre côté il y a encore des gens dans une mouvance plus hardcore, n’ayant pas pour but de se généraliser. C’est  une expérimentation artistique et qui en tant que telle est de l’art - underground car non sponsorisé par l’état.
Dans Génération H tome 3, on voit Sacha - lui qui est un véritable « bon a rien sauf à vivre », se construire à travers le monde de la musique une voie qui va lui permettre d’avancer professionnellement.
Ce que j’essaie avec Génération H, c’est de raconter la construction intellectuelle et culturelle d’une bande de jeunes qui vit sur le moment et qui a des pratiques perçues comme extrême par la société. Ils vont s’épanouir plus tard et évoluer grâce à leur vécu. Ils ont une certaine ambition pour l’humanité mais celle-ci n’est pas à la hauteur de leur ambition. Et lorsqu’ils se rendent compte de cela, ils ne vont pas tomber dans l’extrémisme, ils sont pragmatiques, ils savent qu’il faut avancer. Leur construction se fait dans leurs pratiques, c’est en quelque sorte un récit initiatique.
Le livre se termine au Festival Reggae de Bagnols-sur-Cèze, ce festival s’est arrêté en 2014. Il est revenu cette année, quel est le ressenti de Sacha sur tout cela ?
Sacha a déjà pris un sacré coup de vieux (rires...) mais ce qui est rassurant c’est de le retrouver au même endroit. Je suis très content du retour du festival, mais il ne faut pas oublier qu’il y avait aussi le Zion Garden qui à continué durant ces années. Il existe depuis 8 ans.  Ce qu’il faut célébrer c’est le retour d’un festival au Parc Rimbaud, surtout avec cette optique éditoriale de vouloir se démarquer d’autres festivals en ayant une programmation vraiment roots, ce qui pouvait manquer sur certains festivals.
A travers ces festivals, on a l’impression que tu as plaisir d’aller à la rencontre de tes lecteurs ?
Génération H m’a complètement dépassé et m’a rendu crédible en tant qu’écrivain, même si on peut questionner la pertinence du raisonnement : avoir des lecteurs rend-il crédible un écrivain ? Je ne sais pas quoi répondre si ce n'est qu'avoir autant de lecteurs m'a encouragé dans mon art. Mes livres parlent avant tout d’endroits magiques, de lieux alternatifs et ce qui est fantastique c’est d’aller dans ces endroits là et d’y rencontrer des gars de 20 ans et de les voir vivre ce qu’on vivait il y a 20 ans, mais également d’y rencontrer des gens de 60 ans nous raconter qu’il y a 40 ans ils vivaient cela aussi. Je sais que lorsque je me rends sur un festival je vais y croiser des gens cool, y écouter de la bonne musique, c’est donc un moment très agréable. Et c’est très gratifiant.
Parfois sur les réseaux sociaux, tu publies les témoignages que t’envoient tes lecteurs, te souviens-tu d’un témoignage qui t’a plus touché que les autres ?
Il y a en a un qui m’a vraiment touché, l’année où est sorti le tome 1 de Génération H. C’était à la suite de la censure du CSA. Des festivals m’avaient soutenu et je suis venu présenté le livre.  Là j’ai rencontré deux jeunes lecteurs de 18 ans. Ils avaient lu le livre et ils avaient entamé tout mon parcours dans le livre pour aller voir les différents spots où nous sommes allés, et ils partaient faire le tour de l’Europe, ils allaient passer deux mois sur la route. J’ai trouvé cela génial car si on m’avait dit qu’un à moment dans ma vie je permettrais à des gens de penser "oui c’est possible de voyager, de découvrir le monde, et cela ne tient qu’au fait de décider de le faire". Je ne l’aurais pas cru.
Subis-tu toujours de la censure avec Génération H ?
Depuis que le CSA a fait un rappel à l’ordre à France info lors de la sortie du premier tome, plus aucun grand media ne parle de mes romans, mais on a toujours des lecteurs et la presse alternative qui nous soutiennent. Fonctionner ainsi me va très bien.
Peux-tu nous parler du riddim qui a été crée pour Génération H tome 3 ?
Il a été produit par Kubix, j’aime beaucoup son travail en plus d’être un très bon guitariste c’est également un talentueux producteur. C’est la première fois que je produis un riddim original... après une première écoute du son, je lui ai demandé quelques modifications et on a avancé ainsi. Cela s’est passé dans une bonne ambiance chez lui. Il faut savoir que pour la musique que je produit pour Génération H j’ai une démarche particulière car je vais voir des artistes, des musiciens et je leur demande de venir enregistrer gratuitement de la musique que je vais donner gratuitement, en devant en plus me supporter dans la phase de production, tu vois le genre ? (rires) La seule condition qu’avait Kubix c’était que musicalement on progresse par rapport a ce qui avait déjà été fait. Il  était en connexion avec l’ingénieur du son de Damian Marley, James « Bonzai » Caruso. Celui-ci a travaillé sur le mix et le mastering du riddim. Il a de part son travail sublimé le riddim.  
Dans ce concept d’offrir de la musique aux lecteurs on retrouve l’idée de free party présent dans le livre. Donner aux gens sans forcement avoir un but mercantile derrière.
Ce que m’a permis Génération H c‘est de réaliser un fantasme de sound system addict : « Free music for free people ». Grâce au succès des livres on peut offrir cela, travailler avec des gens dont j’apprécie le travail et donner le fruit de cette collaboration à nos lecteurs. Et de part cet échange, crée quelque chose d’unique.
Comment vois-tu l’évolution de la politique par rapport au cannabis en France ?
J’avais l’impression qu’on nous avait présenté le gouvernement actuel comme libéral au sens anglo-saxon du terme mais je ne pense pas qu’on se dirige vers cela. Donc j’observe et j’analyse. Je n’ai pas le sentiment que nous sommes dans le libéralisme sociétal qu'on nous vendait. C'est dommage car il faudrait que les choses changent !
Est ce que le Sacha de Génération H aurait penser construire des choses aussi concrètes et avoir de telles réussites (Reggae.fr qui vient de fêter ses 20 ans,  Génération H etc).
Ah ah c'est dur de parler de soi à la troisième personne. (Rires) Sacha pensait qu’il allait mourir à 20 ans et ne pensait qu’à vivre le moment présent avec tous les écueils que cela peut comporter. Je pense qu’en tout cas il en est content. Avec le temps l’important c’est autant le chemin que le but, mais dans la construction du chemin c’est la persévérance, la régularité du travail, l’engagement et le fait de fermer sa bouche et d’agir qui sont déterminantes. C’est cela le secret et c’est là où Sacha a muri. Et je pense j'aurais pu évoluer dans une autre passion, et le faire en étant fidèle avec mes volontés et mes idéaux. Après il y a le coup du destin, mais ce qui est sûr c’est que tu ne récoltes pas des graines que tu n’as pas semées.  
Sur les réseaux sociaux, tu as laissé espérer une suite à l’aventure, qu’as-tu prévu ?
J’ai annoncé plusieurs choses, d’une part, je n’arrêterai pas d’écrire sur ce sujet tant que il n’y aura pas une de légalisation en France. J’ai également dit que nos vies ne se sont pas arrêtées à 22 ans et je suis en train de finir d'écrire la suite de nos aventures. Il y a un twist à la fin de Génération H tome 3 qui permet de deviner ce qui va se passer … Ce que je peux juste dire déjà c'est que le lieu de l’aventure ne sera plus la France !
Retrouvez la trilogie Génération H et les autres romans d'Alexandre Grondeau sur www.lalunesurlatoit.com
Par Franck Blanquin
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