Ranking Joe - Interview
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Ranking Joe - Interview

Deejay vétéran de la scène sound system, Ranking Joe a marqué les esprits en étant l'un des premiers à accélérer sérieusement le tempo, devenant l'un des pères du célèbre fast style. Ses gimmicks et ses « R » roulés en ont inspirés plus d'un et les sound systems les plus légendaires de l'histoire ont accueilli son phrasé inimitable. Egalement producteur sur son propre label Ranking Joe Music, l'artiste est un personnage attachant que l'équipe de Reggae.fr a eu plaisir à rencontrer...

Reggae.fr : Commençons par le commencement. Il paraît que tu n'a pas commencé sous le pseudonyme Ranking Joe...
Ranking Joe : C'est vrai. J’ai débuté en 1974 et mes premières releases étaient avec Studio One sous le nom de Likkle Joe. Ensuite j’ai grandi dans le milieu musical et je suis passé de jeune adolescent à adulte donc j’ai changé mon nom parce que les gens commençaient à dire que j’étais devenu grand et fort. Mais j’adore le nom Likkle Joe à cause du film Bonanza. Les deejays ont toujours pris des noms de films pour décrire leur personnalité. Vous avez Dennis Alcapone, Trinity, Dillinger ; aucun chanteur n’utilisait son nom de naissance. J’ai donc grandi sous le nom de Likkle Joe et puis après plusieurs années passées à chanter dans les sound systems, j’ai changé pour Ranking Joe. Comme pour dire que j'étais monté en grade dans la musique. A partir de là, j’ai commencé à faire des chansons avec des producteurs comme Enos McLeod ou Bag O Wire. Avant ça, j'avais sorti le 45T Psalm 54 produit par Watty Burnett des Congos. Puis, il y a eu ce titre chez Channel One, Weak Heart Fade Away, qui m'a beaucoup fait connaître. Et en ce qui concerne un album complet, j'ai fait l'album Mr Fennigan pour le label Princetown High School. Après ça j’ai fait différentes chansons avec différents producteurs comme Henry « Junjo »  Lawes et le label Volcano.  Et puis il y a eu cette tournée en Angleterre en 1980 avec le Ray Symbolic Sound System, "the Bionic". On est devenus les Bioniques en référence à la série tv avec Steve Austin (L'homme qui valait 3 milliards en français, The Bionic Man en anglais) donc je me surnommais Ranking Joe the Bionic deejay. A cette époque, on commençait les soirées à 19h jusqu’au lendemain matin et on toastait non stop toute la nuit, sur différents riddims. Voilà d’où vient le nom deejay bionique.



As-tu connu des moments plus durs que d’autres ?
Le milieu musical est comme un voyage, vous avez des bons et des mauvais jours, il y a des hauts et des bas bien sûr.  Il y a des moments où c’est difficile, et là vous devez vous rebooster, aller en studio pour enregsitrer et se faire une place sur les riddims les plus célèbres ou convaincre les plus gros producteurs de vous aider. Il faut aller en sound system pour se faire connaître et des trucs comme ça. Et puis un jour, à force de travail, tu deviens deejay résident pour un sound system, et là ça t’emmène partout autour du monde.  J’ai été deejay résident pour El Paso Sound System dans lequel Dennis Alcapone a également chanté. Après, U-Roy est venu me chercher pour que je tourne avec King Stur Gav, j’y ai joué avec des gens comme Charlie Chaplin ou Likkle Twitch. A partir de là je jouais dans différents sound systems comme Emperor Faith. J’étais un peu comme un deejay freelance. J’ai ensuite changé pour aller avec le Ray Symbolic Sound System, qu’on a ensuite appelé Bionic comme je vous l’expliquais. 

Quel a été le sound system qui t'a le plus marqué ?
C'est Ray Symbolic car c'est lui qui m’a fait sortir de la Jamaïque. La tournée a été organisée par le légendaire Errol Dunkley en 1980. On a quitté la Jamaïque pour aller en Angleterre pour la première fois. C'était historique. On était le premier sound system jamaïcain à aller à Londres. On a ramené des dubplates et des amplis, et on a utilisé des sonos de là-bas, comme celle de Mafia Tone à Stafford et les gars du label Art & Craft. On a aussi joué avec des sound systems comme Jah Shaka, Fatman, Natty Frontline et beaucoup de sounds de Londres. C'est là-bas que j'ai créé le fast style car il fallait s'adapter à l'ambiance sur place. Les soirées duraient beaucoup moins longtemps, elles s'arrêtaient parfois à deux heures du matin, donc il fallait jouer différemment pour intéresser le public plus rapidement. J'ai fait la une des journaux là-bas et j'ai été interviewé par David Rodigan. Je crois que j'ai ouvert la voix à pas mal de deejays en Angleterre. Les gars sur place se sont appropriés le fast style et des artistes comme Smiley Culture, Papa Levi ou Tippa Irie l'ont développé à leur manière en allant encore plus vite. Ça s'est surtout développé avec Saxon Sound System qui avait une belle équipe de deejays habiles en fast style.


Ranking Joe & Legal Shot @ Reggae Sun Ska 2015

Tu as aussi fait partie de l'écurie Blood & Fire en Angleterre à la fin des années 90 ?
Oui, c'était une grande expérience aussi. Blood & Fire a été l'un des sound systems les plus importants d'Europe. Il y avait Steve Barrow et Dominic. C'était le sound affilié au label du même nom, créé notamment par le chanteur de Simply Red. On a tourné dans toute l'Europe avec une grosse équipe. Il y avait U-Brown, Dillinger, Trinity, Joseph Cotton... C’était quelque chose de nouveau parce qu’en ces temps-là tout le monde jouait avec un band. Si tu n'avais pas de groupe, les gens ne s'intéressaient pas à toi, mais nous on a réussi à percer et à mettre le feu dans les soirées.

Comment en es-tu venu à créé ton propre label Ranking Joe Music ?
J'ai créé Ranking Joe Music après mon passage en Angleterre avec Ray Symbolic parce que j'avais rencontré plein d'artistes talentueux là-bas et ça m'a donné envie d'en produire certains. J’ai produit plusieurs artistes comme Dennis Brown, Gregory Isaacs... Aussi bien des stars que des jeunes moins connus.

Tu as aussi eu une expérience aux Etats-Unis n'est-ce pas ?
Oui. Après cette tournée en Angleterre, je faisais pas mal d'allers-retours entre Londres et la Jamaïque et je faisais beaucoup de concerts. Puis j’ai déménagé aux Etats-Unis. Là-bas je jouais avec le sound system Papa Moke. La culture sound system a commencé à devenir populaire sur place et on a commencé à voir beaucoup d'artistes jamaïcains débarquer. Des gens comme Sammy Dread, Louie Lepkie, Dennis Alcapone et plein d'autres. Jusqu'à ce que ça retombe quelques années plus tard. Mais aujourd'hui je voyage partout dans le monde grâce à la musique. En Europe, au Japon, au Brésil, en Israel, au Mexique... Je suis toujours très actif et le public m'aime bien.

Justement que se passe-t-il pour toi en ce moment ?
Je continue  de produire des artistes sur mon label. En ce moment je travaille beaucoup aux Etats-Unis. Je travaille aussi sur un nouvel album, et puis il y a cet EP Conscious Mixology que j’ai fait en 2018 avec Roommate, un des producteurs au top en Californie. En ce moment je prends des chemins différents dans la musique pour impliquer les jeunes et pour leur transmettre le message. Je me tourne vers d'autres styles pour rester au top. Je continue de rester fort et je remercie les gens qui m’aiment.



Pour finir, une question un peu marrante : quels sont tes trois riddims préférés de tous les temps ?
C’est une question très difficile. Il y a trop de riddims. Je dirais peut-être le Real Rock, le Stalag, et peut-être le Throw Mi Corn. En tout cas je pourrais citer presque tous les riddims des catalogues de Studio One et Treasure Isle. Ce sont mes deux labels favoris.

Par Propos recueillis par Adrien et Alix
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