Une bassiste en Jamaïque
chronique Reggae français 14

Une bassiste en Jamaïque

Cet automne nous avons décidé de vous proposer une plongée dans la vie tumultueuse et musicale de Kingston à travers le destin d’une jeune française de 18 ans, Ela MBass, bien décidée à réaliser son rêve : devenir bassiste en Jamaïque. Vous retrouverez régulièrement ces tranches de vie sur Reggae.fr.
 
Je m’appelle Elora Marches, je suis née en France en 2000. Il y a un an et demi, j’ai décidé d’aller m’installer en Jamaïque et de commencer une formation à L’Edna Manley College pour être en totale immersion dans le pays du reggae. Edna est une grande école regroupant la musique, l’art, la danse le théâtre et les sciences humaines. De nombreux chanteurs et musiciens sont passés par Edna, comme Raging Fyah, les musiciens de Jah9, Protoje, Chronixx ou encore Kabaka Pyramid… et j’en passe ! J’ai décidé de vous faire partager cette incroyable expérience comme si vous la viviez à mes côtés.

Arrivée à Kingston, aussitôt au travail

J’ai beaucoup d’heures de cours par semaine, cours de piano, de théorie, solfège, information technologique, d’ensemble de jazz, musiques actuelles et de mon instrument principal, la basse et même de contrebasse et de percussion. L’école est centrée sur la création artistique et nous avons plusieurs projets regroupant les étudiants en danse, théâtre et musique, ce qui est génial. Nous mélangeons les différentes spécificités de l’école pour en faire quelque chose de magique. A l’école tout se passe bien. Les gens sont très avenants et gentils. Les Jamaïcains ont beaucoup d’humour, on ne s’ennuie pas en cours ici !



En même temps que l’école j’ai commencé à promouvoir mon nom (Ela MBass) en tant que bassiste. Je joue déjà avec un certain nombre d’artistes et de musiciens qui sont tous très talentueux. J’ai eu la chance d’aller dans de très beaux studios d’enregistrement comme Tuff Gong, Anchor, Big Yard, SLR etc. La musique ici est fabuleuse… Je fais tous les jours des rencontres magiques. Beaucoup de légendes musicales comme Earl Chinna Smith, Horsemouth Wallace, Big Youth, Ken Booth, Kiddus I, Sangie Davis, Flabba Holt,…sont ici à Kingston.
 
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » - Marcel Proust
 
Ayant eu la chance de beaucoup voyager avec mes parents, j’avais déjà vécu des expériences qui m’avaient en quelque sorte ouvert l’esprit, mais ce voyage à Kingston est mon premier voyage seule, si loin et pour si longtemps. J’ai pu voir des choses exceptionnelles, des choses magnifiques de cette petite Île, ainsi que le coté miséreux. Les gangs, la drogue, la pauvreté, la misère dans laquelle est le pays. Ce pays si beau et mystérieux à la fois, marqué par l’esclavage et les tensions politiques de l’époque, qui perdurent encore aujourd’hui.
 


Kingston, la capitale, est divisée en « 3 parties », Uptown (quartiers riches), New Kingston (quartier de moyenne classe) et Downtown (ghetto), quartier de la violence et des crimes. Je passe beaucoup de temps Downtown, premièrement car une grande partie de mes amis sont basés là-bas, et pour le Coronation market, qui a lieu tous les jours, qui est un grand marché de fruits et légumes délicieux purement locaux, ainsi que d’épices et objets de la vie courante (lessive, casseroles, etc.) que nous pouvons acheter à prix très bas comparé à Uptown. C’est ici que j’ai réalisé toute la dimension de la pauvreté et la détresse du pays. Des femmes et des hommes qui travaillent et élèvent entre cinq et sept enfants, habitant dans des petites maisons faites de plaques de fer et de bois, devant payer l’école pour leurs enfants. Car l’école coûte très cher en Jamaïque, elle n’est malheureusement pas gratuite comme en France. Et on constate la motivation des enfants à vouloir apprendre et aller à l’école puis poursuivre des études supérieures.

La culture est très différente ici. Au début il m’était difficile d’accepter tous ses aspects, mais plus je partage du temps avec différentes personnes, à parler, à apprendre, plus j’aime cette vie et arrive à m’y faire totalement : le mode de vie, les façons de travailler, l’éducation, le contact humain. Les Jamaïcains sont très réservés, ils sont comme un livre, mais avec le temps et quand ils ont réussi à vous cerner, à vous « adopter » et, à apprendre de vous et surtout deviner vos intentions, ils s’ouvrent totalement, et sont prêts à échanger, partager.
 


Les Rasta, en particulier, sont présents dans ma vie jamaïcaine et très enrichissants. Centrés sur la nature, un mode de vie et d’alimentation saines, des méthodes naturelles pour soigner, ils m’ont beaucoup appris. A l’opposé du mode de vie rasta, la nouvelle génération dancehall est aussi très importante en Jamaïque, entre les « Parties», (soirées dancehall dans la ville), les belles voitures, les liasses de billets, et beaucoup de « Gyal » (girl en anglais qui signifie fille). Ces deux parties de la population s’opposent mais sont toutes deux très intéressantes. Le dancehall ainsi que le reggae, la musique et la danse sont les « richesses » ainsi que le bonheur du pays. Il y a beaucoup à apprendre, et appréhender la culture d’un pays et son mode de fonctionnement : c’est remonter dans son histoire.
 


Malgré le fait que la Jamaïque compte nombre de richesses et soit très attractive au plan touristique, les priorités ici ne sont pas les mêmes que celles d’un pays riche. A côté des rivières sauvages dans les montagnes sublimes, des plages de sable blanc, la saleté domine le pays, car l’écologie n’est pas encore développée, ce qui est normal, dans un pays pauvre, où l’on se soucie d’abord d’instruire les enfants et d’avoir de la nourriture à mettre sur la table chaque soir plutôt que de savoir où jeter ses déchets.
 
Quoi qu’il en soit quand ce pays vous prend au cœur, il est impossible d’en partir ou de ne pas y revenir, et pour ma part j’ai eu et j’ai encore tous les jours ce coup de cœur.
Je tenterai dans les prochains mois de partager avec vous dans ces colonnes quelques bribes de ma vie jamaïcaine !

Par Ela MBass
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